Ne confondez pas drague et harcèlement sexuel !

drague

Instinctive, courante et pourtant mal perçue, la drague n’en est pas moins un phénomène incrusté dans notre société. Pour ce reportage, nous avons mis de côté la connotation souvent négative que peut avoir la drague. Nous nous sommes éloignés des sentiers battus pour ne nous intéresser qu’à la légèreté d’une pratique aussi vieille que le monde et qui est adoptée aussi bien par les hommes que par les femmes. Nous avons donné la parole à des jeunes qui estiment que la drague est un test du sex-appeal, à ne pas confondre avec le harcèlement sexuel… Et nous livrent leurs astuces, leurs plans foireux.

«Elles font toutes leurs mijaurées pour montrer qu’elles ont un genre, mais dès qu’elles ne se font plus draguer, elles pleurnichent et se plaignent que personne n’a d’intérêt pour elles. A un moment donné, il faut choisir!», dit-il excédé.
Lui, c’est Marouane, un serial dragueur qui connaît les filles mieux qu’elles ne se connaissent elles-mêmes. A son actif, des centaines de conquêtes. Il les enchaîne et en change comme il change de vêtements.

A 27 ans, ce grand brun est l’incarnation -pas du tout- parfaite du jeune homme sérieux avec qui on aimerait faire un bout de chemin. De la poudre aux yeux qu’il jette à celles qui veulent bien être aveuglées…

Serial dragueur

Nous le retrouvons pour un tour en voiture. Il est accompagné par son ami Anas qui a le même âge. Il veut nous prouver qu’il n’y a rien de plus simple que de draguer dans la rue et que les femmes sont ultra-réceptives. Nous nous installons à l’arrière de sa berline aux vitres fumées. «Les vitres teintées, en plus de donner plus d’allure à la voiture, ça nous sauve la vie! Personne ne sait qui est avec moi et je peux changer de passagère au gré de mes envies sans qu’aucune d’elles ne s’aperçoive que je suis avec une autre».
Une voiture, un atout-séduction. En effet, durant notre petit tour, bien des filles ont souri au jeune homme. Malgré le fait qu’il soit assez séduisant de nature, il reconnaît que sa voiture lui facilite la tâche pour draguer. «On a plus de chances quand on est en voiture. Bien sûr, plus elle est chère, plus on a du succès. C’est ça la règle… Les femmes aiment les apparences!». «Une belle voiture te rapporte n’importe quelle fille! Tu peux être vieux, moche et sénile, mais arrange-toi pour avoir une berline allemande et tu auras des filles à tes pieds», renchérit Anas en s’en amusant.
Malgré son succès indéniable à quatre roues, Marouane préfère les duels, les face-to-face qu’il juge plus intéressants. «Je préfère draguer dans un café ou un restaurant ou même dans la rue et sans ma bagnole. Là, au moins, on peut échanger des regards. Je peux même aller la voir et lui parler», dit-il. De cette façon-là, il dit être sûr que la fille n’est pas avec lui uniquement par intérêt et peut envisager une relation plus au moins longue.
En l’espace d’une heure, il a jeté son dévolu sur 3 filles. Aucune de ces filles n’a refusé de le revoir. Il nous a même rapporté leur numéro de téléphone et leur prénom. Mais il ne les rappellera pas de sitôt. Des lunettes noires fixées sur le nez, il descend d’un pas assuré et les aborde, un grand sourire aux lèvres et un petit signe de la main pour leur faire comprendre qu’il s’adresse à elles. Il retire ses lunettes une fois à leur niveau. Il sort son téléphone avant de leur demander leur numéro.
«Le tout est une question de signes et ça passe aussi par le regard. Il faut lui faire comprendre avec des gestes avant de lui dire avec des mots ce qu’on a l’intention de faire. Quand je sors mon téléphone avant de lui demander son numéro, je la préviens que je vais le lui demander. Face à cette situation, je l’encourage à me le donner», explique-t-il. Il ne pense pas être irrésistible d’ailleurs, il le reconnaît. Il s’est fait jeter à plusieurs reprises par des filles qui n’aiment pas se faire draguer de cette façon. Ce sont des filles de caractère. Si tu échoues avec cette technique, ce n’est même pas la peine d’en essayer une autre. Le film est cramé». Il avoue que certaines filles -même pas belles- ont été saignantes et l’ont laissé comme un idiot planté au beau milieu de la rue. Mais en bon gentleman, il n’a jamais répliqué…

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Les femmes prennent le contrôle

Le grand brun insiste sur le fait que les limites entre la drague et le harcèlement ne sont pas très claires et différent pour chacun(e). Néanmoins, pour lui, il faut être respectueux des volontés des femmes. «Draguer commence déjà par un bonjour. Si on se prend une veste, il faut partir. Si on insiste, ça devient du harcèlement», dit-il. «On ne peut pas forcer une femme à nous parler. La séduction, c’est un jeu entre deux personnes», commente Anas. Alors qu’il avait tout juste fini de parler, Marouane repère une fille au volant, au feu rouge d’en face. «Tenez-vous bien, vous allez voir». Il fait deux appels de phare et une fois le feu vert allumé, ils se croisent. Elle tourne la tête vers lui et le regarde furtivement…
Marouane, au lieu de continuer tout droit, rebrousse chemin. La poursuite est lancée. La fille dans sa petite voiture italienne blanche, s’engouffre dans des petites ruelles pas très fréquentées. Marouane essaye de se mettre à son niveau pour lui parler. Elle sort son bras de la fenêtre et lui fait signe de s’arrêter plus loin. Chose faite. Ils descendent de voiture tous deux et discutent quelques minutes sur le trottoir. Elle est petite de taille et fait un effort pour pouvoir lui parler. Il l’invite à faire un tour, c’est plus pratique. Elle monte et est un peu surprise de nous voir à l’intérieur, pensant ne trouver personne. Nous nous présentons comme étant des amis, au début… Avant de lui expliquer les véritables raisons de notre présence. Ça n’a pas l’air de la déranger. Elle est brune, cheveux longs et raides et s’appelle Ibtissam. Elle dégage l’odeur d’un parfum si fort qu’il en devient oppressant dans la voiture. Marouane décide donc de baisser les vitres et joue la carte de l’humour lui disant: «Tu as pris ta douche avec ton parfum?». Elle rigole.
Mâchant bruyamment un chewing-gum, elle parle de temps à autre pour prendre position sur le sujet. «La drague, c’est un sport national au Maroc. Je ne peux pas sortir sans me faire draguer. Le jour où on ne me drague pas, je me pose des questions. Et maintenant, quand un mec me plaît, je le lui fais savoir», dit-elle.
«Les pssst, pssst, zine ma nchoufoukch, etc, ça ne marche pas. Je pense qu’il est temps que les hommes se le mettent une bonne fois pour toutes dans la tête», dit Ibtissam, assez à l’aise sur le sujet. Pour la séduire, elle, il faut y mettre les mots et y aller progressivement, même si c’est elle qui accoste. Elle peut donner son numéro de téléphone, voir la personne deux ou trois jours après et ça continue s’il y a affinité.
Si elle trouve normal de prendre l’initiative de draguer un homme? Ibtissam répond: «Evidemment! Et pourquoi pas? Il faut savoir ce qu’on veut dans la vie». Ses combines? «Je ne vous donnerai pas mes secrets, mais je peux vous dire que j’agis différemment, selon mes humeurs… Je peux être discrète comme je peux le faire ouvertement», se moque-t-elle. (Elle nous dira après que ça se passe par un regard malicieux et par un sourire bref et qu’il faut faire mariner les dragueurs).
Anas prend la parole et lui demande si elle souhaite se marier. «Bien sûr, comme toutes les filles», dit-elle. Il n’attendait que cette réponse pour monter sur ses grands chevaux: «Vous vous humiliez volontairement avec votre cupidité et vous pensez qu’on est idiot, qu’on ne comprend pas votre manège. Il ne faut pas vous étonner si vous ne tombez pas sur des hommes honnêtes». Le silence plane pendant un moment. Un sentiment de gêne emplit la voiture.
Marouane décide de mettre de la musique pour apaiser la tension. «Nous les femmes, nous avons juste besoin de nous sentir belles et attirantes», finit par dire Ibtissam. D’après elle, la drague leur permet de se rassurer, de savoir qu’elles font de l’effet aux hommes sans pour autant vouloir une relation avec eux. «Des fois, je peux aller à la boulangerie, porter une vieille jellaba et je me fais draguer avec des mots gentils; ça ne fait de mal à personne!», se défend-elle. «En plus, c’est dans des endroits comme ceux-là que je trouve les meilleurs plans-drague, parce qu’on peut faire semblant de se connaître».
En effet, se faire draguer dans les lieux publics est d’une banalité confondante, mais les lieux les plus insolites dans lesquels ils se sont fait draguer ou ont dragué ont été dans un kiosque de journaux où il est facile d’aborder les autres, dans le souk aux légumes, un matin de week-end. «Une fois, j’ai calqué ma liste de courses sur celle d’une jeune fille. Je lui ai dit que je ne savais pas m’y prendre et elle m’a dit de la suivre. Je la suivais d’un marchand à un autre et on prenait tout pareil. C’était drôle», raconte Marouane. Ou encore, un café durant un match de Classico espagnol durant lequel -normalement- tout le monde est concentré sur le jeu. Ibtissam dit avoir été draguée à la sortie des toilettes, pas le meilleur endroit, il faut le reconnaître…
S’il y a quelque chose à retenir, c’est que la drague, en plus de donner lieu à de nouvelles rencontres, qu’elles finissent par être amicales ou amoureuses, permet de tester son sex-appeal, de se faire plaisir et de faire plaisir aux autres sans rien attendre en retour, comme lorsqu’on reçoit un compliment ou un mot gentil dans la foulée. Si la drague est un jeu de séduction entre deux personnes qui «veulent jouer», une fois que la situation tourne à la diarrhée verbale, elle empiète sur les libertés personnelles d’autrui. Il s’agit dans ce cas de harcèlement sexuel et il est puni par la loi. Selon l’avant-projet de réforme du code pénal (de 1960) rendu public le 1er avril sur le site du ministère de la Justice, une peine d’emprisonnement allant de 1 à 2 ans et une amende de 2.000 à 20.000 DH sont à prévoir pour toute atteinte à la pudeur en public, notamment la nudité intentionnée ou des «signes ou comportements obscènes». Nous attendons de voir quel sera le texte définitif, mais gageons que, quel qu’il soit, ça n’empêchera pas les dragueurs comme Marouane ou Ibtissam de poursuivre leur petit manège! Juste un peu plus prudents, peut-être?

Journée de la société civile

Yasmine Saih

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