L’Etat islamique –dont l’acronyme en arabe est Daesh- a frappé le monde d’effroi avec ses conquêtes illégales de territoires en Syrie et en Irak, ses massacres de populations et ses décapitations d’otages.
Spontanément, des musulmans à travers le monde, ont réagi, condamnant fermement ces agissements et leur déniant tout lien avec l’Islam. D’où les différents mouvements de «Not in my name» (pas en mon nom).
Mais aussitôt, une polémique est née.
Faut-il que les musulmans se désolidarisent publiquement de l’Etat islamique ? Qu’auraient-ils à se reprocher pour se sentir obligés de le faire ? Ceux qui le font, qui cherchent-ils à rassurer ?
C’est le grand débat qui anime actuellement les échanges entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre.
Quand ils voient les horreurs commises au nom de l’Islam et des musulmans ; quand ils voient une organisation extrémiste s’autoproclamer Etat et s’attribuer le qualificatif d’islamique, avant d’estampiller tous ses crimes d’«actes du jihad» ; les musulmans de par le monde se divisent en deux camps.
D’un côté, une immense majorité de croyants qui se sent submerger par des sentiments, à la fois, de honte, de colère et de révolte. Ce sont tous ceux qui croient en un Islam porté d’abord dans le cœur et dictant une conduite irréprochable, reposant sur la rectitude, l’humanisme et l’humilité (la véritable foi n’ayant pas besoin de signes extérieurs).
Et de l’autre, une infinie minorité de fanatiques anachroniques -ou tout simplement de laissés pour compte- qui voient en l’Etat islamique autoproclamé la résurgence du Califat de leurs rêves, pouvant venger leurs frustrations spirituelles et matérielles.
La double peine
Pour les hommes de ce deuxième camp, le choix est périlleux, mais simple. Soit rejoindre l’Etat islamique et intégrer les rangs de ses combattants sur le terrain. Soit relayer son action localement, là où ils se trouvent, qu’il s’agisse de leur pays d’origine ou de leur pays d’accueil. C’est ce que les gouvernements tentent d’anticiper, sinon de freiner, à coup de lois présumées dissuasives…
Quant aux musulmans qui contestent aux extrémistes le droit de parler et d’agir en leur nom et au nom de leur religion, ils sont doublement affectés.
D’un côté, par les agissements barbares des jihadistes qui, non seulement trahissent les préceptes fondateurs de l’Islam, mais entachent son image aux yeux de l’opinion publique internationale…
Et de l’autre, par le regard suspicieux –et c’est un euphémisme- dont ils sont désormais victimes, partout dans le monde. Une sorte de double peine !
D’où la double réaction, aujourd’hui.
Réaction à la réaction
Première réaction: un mouvement, né spontanément, par lequel les musulmans ont tenu à se laver les mains des crimes de la nébuleuse Daesh. C’est le mouvement «Not in my name».
Et une réaction à la réaction, celle de musulmans qui se disent las d’avoir à se justifier chaque fois que l’extrémisme frappe.
Interrogé sur France 3, dans le cadre d’un débat avec Florian Philippot, vice-président du Front national, qui voulait savoir ce qu’il comptait faire dans les mosquées pour contrer le jihadisme, un représentant de la communauté musulmane en France, a lancé, étouffant difficilement son indignation: «Arrêtez de nous culpabiliser ! A ma connaissance, aucun jihadiste français n’est sorti de nos mosquées, pas plus mohamed Merah que Mehdi Nemmouche… Ce sont plutôt des produits d’internet !».
Dans les discussions de salon, de café, ainsi que sur les réseaux sociaux, la bataille fait rage.
Les «Pour»
Partant de bons sentiments, les initiateurs et supporters de «Not in my name» défendent leurs positions. Pour eux, il y a amalgame entre islam et extrémisme religieux, l’Etat islamique (EI ou Daesh) propage des discours violents au nom de l’Islam, il engage des guerres illégitimes, il massacre des innocents, il ne représente donc, contrairement à ce qu’il prétend, ni l’islam ni les musulmans. Or, trop souvent, les musulmans sont fustigés, comme s’ils ne faisaient qu’un avec Daesh. C’est pourquoi, il faut se mobiliser contre l’Etat islamique. Il faut dire au monde que l’Islam n’est pas cela et que ceux qui disent le contraire n’agissent qu’en leur nom propre, pas en celui de tous les musulmans.
D’où les manifestations, marches et Journées contre la haine du Mouvement «Not in my name» dans plusieurs pays et l’adaptation de ce slogan aux couleurs locales. «Not in my name» dans les pays occidentaux, «Layssa bi issmi», dans certaines contrées arabes, «Machi bessmiyti» au Maroc…
Les «Contre»
Dire au monde que l’Islam n’est pas celui dont Daesh se prétend le porte-flambeau et se distancier publiquement des violences et crimes des jihadistes, ceux qui n’adhèrent pas au Mouvement «Not in my name» ne sont pas vraiment contre… Mais ils ne veulent pas se sentir obligés de le faire. Or, ils ont le sentiment de devoir se justifier sous la pression d’une suspicion imméritée. Ils estiment que les musulmans dits «modérés» sont les premières cibles et premières victimes des extrémistes jihadistes et qu’ils n’ont pas à «montrer patte blanche» pour ne pas être stigmatisés.
Pire, ils sont convaincus que même en se démarquant publiquement des jihadistes de Daesh et de ses antennes, où qu’elles soient, ils n’échapperont pas à la stigmatisation. Le choc des civilisations –et des religions- est tel, aujourd’hui, que rien n’y fera… Un musulman, dans un pays non-musulman, paiera toujours pour les dérives des jihadistes.
En attendant, sur les réseaux sociaux où la parole est libre –et où certains en abusent sous couvert d’anonymat- l’Islam et les musulmans en prennent pour leur grade ! Merci Daesh. Seuls, quelques experts de l’Islam en Europe tentent de dissiper l’amalgame… Une sorte de «Not in my name» qu’ils essaient de lancer timidement en direction des musulmans modérés, au milieu de la cacophonie d’anathèmes.
Bahia Amrani
Témoignages
Leïla, 24 ans
«Je suis pour «Not in my name», on doit tous dire au monde qu’on n’est pas avec Daesh, ni avec ceux qui le représentent dans notre pays. Il faut qu’on soit nombreux pour que notre message passe et que les autres peuples comprennent que l’Islam n’a rien à voir avec ça».
Ali, 33 ans
«Je trouve très bien cette idée de dire que les terroristes n’agissent pas en notre nom. C’est vrai. On n’accepte pas qu’ils trainent l’Islam dans la boue, comme ils le font, en le présentant comme une religion de cruauté et de violence. Ces gens-là sont fous. Ils rêvent des guerres de religion du temps de la Jahiliya !».
Amina, 22 ans
«Moi, ce qui me fait peur, c’est que Daesh ait des hommes chez nous. Déjà, on a une société qui nous empêche de nous émanciper véritablement. Alors, si on a des jihadistes qui nous surveillent au coin de la rue, je ne sais pas ce que sera notre vie !»
Younes, 41 ans
«Moi, je suis pour «Not in my name», mais ça ne suffit pas. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait moins de pauvreté et moins d’injustice, pour que les gens veuillent vivre en paix dans leur pays. C’est l’injustice et la misère qui sont les principales causes de ralliement des gens aux extrémistes».
Ismail, 27 ans
«Pourquoi dire «Not in my name»? Ça va de soi, non? Pourquoi quand une poignée de terroristes perturbe le monde, parce qu’on les a laissé faire, nous on doit s’excuser et se justifier ? Ils n’aiment pas les musulmans ? Eh bien, les musulmans n’ont qu’à rester chez eux ! D’ailleurs, le rejet des musulmans n’a pas commencé avec le terrorisme. Ce sont les immigrés qui ont écœuré les pays où ils sont avec leurs excès»