Le Colloque international des Finances publiques est devenu incontournable. Certains intervenants l’ont même qualifié de «moment de famille et de partage». Et vous?
C’est un plaisir et en même temps une fierté d’organiser ce colloque sur les Finances publiques, parce que c’est un espace de réflexion et aussi de recherche et de partage des expériences. Je dirais même qu’il est un moment scientifique et je crois que c’est le plus important dans ce colloque.
Pourquoi scientifique?
Parce que la plupart des intervenants, quelle que soit leur position dans la société, experts, ministres, députés, universitaires ou médias, partagent cette qualité de la recherche scientifique et de l’amélioration de la connaissance.
Nous avons des regards croisés, la France et le Maroc entre autres. Cette année, nous avons également eu des témoignages d’experts du Fonds Monétaire International qui nous permettent de savoir si le Maroc, dans ses choix en termes de finances publiques, a pris la bonne direction et s’il utilise les bons instruments qui permettent le développement et surtout la soutenabilité des finances publiques.
A votre avis, est-ce que le Maroc a vraiment réussi?
Nous devons nous féliciter des choix qui sont posés, sans perdre de vue qu’il reste encore des améliorations à faire.
Un parcours sans faute?
Nous risquons parfois de faire quelques erreurs d’appréciation par rapport à des données qui ne sont pas tout à fait complètes. C’est pour cela justement qu’il faut avoir de l’information et du reporting. S’il y a quelque chose de fondamental sur laquelle il serait judicieux de réfléchir, c’est le reporting en temps réel.
Que permet ce reporting au niveau des organes décisionnels?
L’exécution de tout ce qui est fait au niveau local ou régional. Quand nous disposons de cette remontée de l’information qui nous permet de savoir si le citoyen est satisfait de la prestation qui est faite, que ce soit au niveau des services ou des produits en termes d’infrastructure, de qualité d’éducation ou de santé, ce reporting au niveau des organes décisionnels permet de réadapter. C’est pour cela d’ailleurs que le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), M. Abdellatif Jouahri, a insisté sur l’évaluation périodique. D’où le fait d’avoir ce reporting et cette évaluation qui permet de ré-encadrer, de réorienter et de prendre les décisions.
Et le citoyen dans tout cela?
Ce qui importe à mon sens, c’est la finalité des politiques publiques. Si on n’a pas ce souci de nous pencher sur cette finalité, de savoir si le citoyen a été satisfait, eh bien, in fine, nous n’aurons pas réussi notre mission de service public.
Dix années se sont vite écoulées. Pouvez-vous nous faire un bilan du parcours du Colloque international des Finances publiques?
Pendant cette décennie, nous avons traité de grands sujets: la transparence, la gouvernance, la gestion de l’état territorial, les finances sociales.
A quoi ces matières ont-elles servi à tous ces décideurs ?
Nous remarquons avec satisfaction qu’ils puisent dans ce bien commun (publications). C’est un patrimoine. Et nous veillons à partager le savoir et, en même temps, préparer nos élites dans le domaine des finances publiques, ce qui aiderait au développement du Maroc.
Au niveau de la faisabilité, qu’est-ce qui a été réalisé sur le terrain?
Vous savez, la Trésorerie générale ne parle pas beaucoup de ce qu’elle fait en matière de formation. Mais depuis plusieurs années, nous avons beaucoup investi dans la formation continue, initiale pour le recrutement (entre 250 et 300 personnes); parfois ce sont des masters, bac + 4 et Bac + 2. Tous reçoivent une formation de départ. On essaie donc de les former sur les derniers outils en matière de gestion des finances publiques. Nous avons même des cours de culture générale. Tout cela parce qu’une tête bien faite pourra mieux servir. Et cela permet aussi de dire qu’à côté des finances publiques, il y a la vie et, en société, il faut avoir une ouverture d’esprit et accepter la différence d’opinion.
Nous essayons de faire de notre mieux. Notre souhait est qu’à tous les niveaux et secteurs d’activité, nous favorisions les ressources humaines.
Qu’est-ce qui a dicté le choix de cette thématique «Pouvoirs politiques et Finances publiques: quels enjeux au Maroc et en France»?
Chaque année, le choix se fait six mois à l’avance avec notre partenaire FONDAFIP, présidé par le Professeur Michel Bouvier. Nous essayons toujours de choisir des thèmes qui sont en relation avec la demande de notre environnement. Nous avons par exemple travaillé sur le dossier des métropoles qui ont un rôle important sur le plan économique, politique et social. Cette année, nous nous sommes proposés de réfléchir sur la thématique -ô combien importante!- des finances publiques, sur le partage aussi des pouvoirs entre le gouvernement et le parlement et sur la Cour des comptes, pour savoir si nous sommes en train de faire évoluer notre système de finances publiques, pour une meilleure gouvernance. C’est ce qui a un peu guidé notre choix de la thématique.
On a évoqué lors de ce colloque la notion de sincérité budgétaire et de sincérité comptable, alors que la Cour des comptes se fait entendre…
Quand on parle de la Cour des comptes dans l’Hexagone, elle fait la certification des comptes. Au Maroc, c’est un peu l’ambition. L’idée, c’est que les comptes qui sont produits par la Trésorerie générale notamment, par rapport au Parlement, puissent être certifiés par la Cour des comptes, parce que la sincérité de ceux-ci permet de savoir si les politiques publiques ont été réalisées. Ces réalisations se font sur des comptes publics. Avant qu’ils soient certifiés, il faut qu’ils soient tenus.
On a beaucoup parlé, deux jours durant, du fameux projet de loi de règlement. Qu’en est-il aujourd’hui sur le terrain?
La Constitution de 2011 a prévu la date de son dépôt qui a été raccourci. Le but est de faire l’évaluation pour que les parlementaires puissent se prononcer sur l’exécution de la loi de règlement. Celle-ci doit intervenir au bon moment et dans de bonnes conditions pour qu’ils puissent évaluer exactement si les politiques publiques ont répondu aux attentes des citoyens. Donc, la loi de règlement est un acte majeur; c’est le moment où il faut rendre des comptes.
Les participants ont évoqué le déficit des moyens mis à la disposition des parlementaires pour mener à bien leurs tâches et mieux servir les électeurs. A qui incombe la responsabilité?
C’est une question classique dans les démocraties. Il est vrai que c’est l’Exécutif qui gère et, le Parlement, c’est un peu le conseil d’administration pour une entreprise. Donc, le conseil n’est pas là pour gérer. Il délègue à une entité qui gère. Il ne faut donc pas mélanger les rôles des uns et des autres. Il est vrai que l’Exécutif aura toujours plus de moyens que le Parlement, c’est tout à fait normal. Alors, soit on délègue à une entité externe qui est la Cour des comptes pour qu’elle fasse le travail d’analyse et ramène des chiffres documentés pour que les pouvoirs politiques puissent se prononcer, soit l’autre orientation de dire: on duplique un peu les experts qui travaillent pour le Parlement.
Qu’avez-vous décidé alors?
Je crois que la voie vers laquelle nous sommes en train de nous diriger est de dire qu’il y a une entité indépendante qui est dans le système latin, différente du système anglo-saxon. Ce système latin dit que la Cour des comptes est indépendante. Elle est peut-être à équidistance entre le Parlement et le gouvernement, mais elle fait le travail d’analyse et rend compte au Parlement pour que celui-ci puisse à ce moment-là contrôler efficacement le travail de l’Exécutif pour savoir s’il est conforme à l’autorisation parlementaire.
Quelle synergie au Maroc entre les finances de l’Etat et celles des collectivités territoriales?
Les collectivités territoriales devraient en principe bénéficier de l’expérience de l’Etat en termes de management public, du fait que l’Etat a une longévité et une histoire beaucoup plus longue. Aujourd’hui, les collectivités territoriales sont venues par la volonté, bien sûr, politique. Le Maroc a démarré un schéma de décentralisation depuis très longtemps. Ce schéma est en train d’être rationnalisé et optimisé, pour aller vers la régionalisation avancée qui assurément nécessite des moyens. Et donc, les collectivités territoriales vont capitaliser sur l’expérience de l’Etat en termes de gestion des ressources et de dépenses.
Interview réalisée par Mohammed Nafaa