La pauvreté a toujours existé, ici et ailleurs. Même chez les plus grandes puissances, elle reste une plaie. Il n’est que de jeter un œil sur les chiffres de la pauvreté aux Etats Unis pour saisir l’étendue du fléau…
Entre 35 et 45 millions de pauvres (selon la méthode de calcul choisie), quelque 600.000 sans-abri recensés en 2014, sans parler des 22.000 enfants sans domicile fixe pour la seule ville de New York !
La pauvreté n’est donc pas une «exclusivité» des pays pauvres.
Mais le problème, aujourd’hui, prend une autre dimension.
Jusque-là, les pauvres se contentaient d’être pauvres, s’en remettant à la volonté divine, à la fatalité et au «bon cœur» de ceux qui voulaient bien avoir un peu de pitié pour eux. Ils n’avaient aucun pouvoir et, surtout, aucun moyen de se faire entendre.
Aujourd’hui, tout cela a volé en éclat.
La religion ? Elle servait à faire accepter aux pauvres leur situation, à les maintenir dans la soumission. «Hada mouktab Allah», disaient-ils (c’est ce que Dieu veut). Depuis que la vague islamiste a submergé le monde, il est expliqué aux pauvres que leur foi en Dieu doit les pousser, au contraire, à se révolter. Et là où les communistes et socialistes ont passablement échoué, les Islamistes arrivés au pouvoir ont réussi… Ils ont réussi à mettre foi et convictions au service de la révolte.
La fatalité ? Plus personne ne s’y résigne. Ni chez les croyants, ni chez les autres. La marche forcée du monde vers la démocratie, la moralisation de la gouvernance, la reddition des comptes, les droits humains… Tout cela a ouvert les yeux des citoyens, notamment ceux qui sont dans une situation précaire. Ils comprennent que ce n’est pas la fatalité qui leur impose leur précarité, mais des choix politiques et une gouvernance qui peut être remise en cause.
L’exemple des «gilets jaunes», en France, qu’on les approuve ou non, illustre bien l’attitude que les citoyens entendent désormais adopter pour se débarrasser du carcan de la fatalité.
Les pauvres sans moyen de se faire entendre ? C’était il y a longtemps, quand les partis politiques et les syndicats se présentaient comme seuls à pouvoir porter leur voix, mais qu’ils ne le faisaient pas, sans cesser pourtant de parler en leur nom.
Aujourd’hui, quand les pauvres décident de se faire entendre, on n’entend plus qu’eux. Soit individuellement, via une vidéo qui fait le buzz sur les réseaux sociaux. Soit –et c’est là où le danger devient réel pour ceux qui les ont ignorés- en groupe dont les harangues et les mots d’ordre s’échangent et se partagent sur les réseaux sociaux, loin de tout mode de répression.
Alors, quand on apprend –la dernière qui l’a dit c’est Oxfam, mais elle n’est pas la seule- que les pauvres sont plus pauvres et plus nombreux, qu’ils se comptent en milliards… Tous les voyants passent au rouge.
Il est urgent de s’occuper de cette bombe à retardement !
Chez nous, de nombreuses initiatives, notamment royales, sont prises dans ce sens. Elles ont une grande importance, certes, mais il s’agit d’un combat de Titans, tant les disparités sociales et écarts entre munis et démunis sont criants.
La solidarité et l’assistance sont les bienvenues. Mais donner un poisson à un pauvre ne le nourrit pas à vie. C’est lui apprendre à pêcher et lui permettre d’acquérir une canne à pêche qui le mettra définitivement à l’abri de la faim… Voire lui permettra de lancer un commerce de poisson et d’emprunter l’ascenseur social pour passer d’une classe inférieure à une classe supérieure… Le «chantier de règne» qu’est l’INDH (Initiative Nationale pour le Développement Humain), lancé par SM Mohammed VI en 2005, est un excellent exemple de ce qu’il faut faire pour éviter d’installer une mentalité d’assistés chez ceux qui ont –au contraire- besoin d’un projet d’avenir, bâti sur le travail et le mérite.
Il faut remettre en marche l’ascenseur social et l’ouvrir à tous… Il faut encourager l’émergence de «modèles», de «cursus réussis» et d’exemples de vie qui donnent envie d’être suivis… Des gens qui «donnent envie d’avoir envie», comme avait pu dire Johnny Haliday, Dieu ait son âme. Il faut élargir la classe moyenne et renforcer ses rangs. Non pas en appauvrissant ceux de la classe supérieure pour qu’une poignée seulement détienne toute la fortune. Mais en œuvrant à améliorer la situation de ceux de la classe inférieure, pour qu’ils se débarrassent de leur pauvreté et grimpent à un statut supérieur… C’est le moment de «penser» tout cela et de prendre des décisions radicales, puisque Sa Majesté a appelé à réfléchir à un nouveau modèle de développement. Aucun modèle de développement ne sera bon, s’il laisse sur le pavé ceux qu’on appelle les pauvres et qui tendent à devenir la grande majorité de la population !
Bahia Amrani