Toute la semaine qui a précédé le mardi 6 octobre (2020), les milieux politiques, financiers, économiques et médiatiques, étaient dans l’impatiente attente du verdict du Conseil de l’Union Européenne (UE). Le Maroc sortira-t-il de cette «liste grise» des paradis fiscaux ? Ce qui signifierait que l’UE aura considéré qu’il a parachevé la mise en conformité de son système fiscal avec les nouvelles normes en vigueur. Ou y sera-t-il maintenu, malgré toutes les réformes entreprises et concessions faites pour se plier aux conditions européennes, parfois au détriment d’intérêts nationaux et même en donnant quelques coups de canif aux droits acquis des entreprises (la fameuse «grandfathering», ou clause d’antériorité) ?
Pour les plus optimistes parmi les observateurs marocains, les réformes que le Maroc a progressivement engagées ne devraient plus permettre le maintien du Royaume dans la «liste grise». Même si, en réalité, la «liste grise» est un moindre mal… En effet, il faut le préciser, cette liste comprend les pays dont les réformes et engagements en matière de conformité fiscale sont considérés suffisants, par l’UE, mais qui restent encore sous observation pour leur mise en œuvre définitive.
Au lancement de ce classement, en 2017, le Maroc avait âprement arraché sa place sur cette liste grise, son système fiscal n’en faisant pas véritablement un paradis fiscal pour qu’il figure dans la liste noire, aux côtés de ceux qui n’ont aucune fiscalité. Mais il se voyait accorder un délai de 2 ans pour entreprendre les réformes qui le mettraient en conformité avec les nouvelles normes de l’UE. Réformes incontournables, sachant que l’UE est le principal partenaire commercial du Maroc et que le sort de centaines d’entreprises est en jeu.
Le Maroc a donc entrepris d’adapter progressivement sa législation fiscale… En clair, il devait revoir à la baisse les incitations et avantages fiscaux qu’il accordait aux entreprises et investisseurs nationaux et étrangers, pour s’aligner sur la législation et les taux de l’UE. Il a donc supprimé, dans la loi de finances 2019, les avantages incitatifs dont bénéficiaient les banques offshore, les holdings financiers et autres investisseurs similaires. Puis, dans la loi de finances 2020, il a amendé les régimes fiscaux préférentiels appliqués aux zones franches d’exportation et ceux accordés aux entreprises exportatrices. Au terme de laborieuses négociations, l’exonération de l’IS a été maintenue pour les entreprises installées dans les zones franches d’exportation, pendant les cinq 1ères années, mais le taux incitatif qui était de 8,75% a dû être relevé à 15%.
Restait à amender un régime préférentiel et non des moindres, celui de la grande place financière marocaine et africaine, Casablanca Finance City.
Le Maroc s’y est appliqué dans une course contre la montre, malgré les désordres et retards infligés par la crise Covid-19 et a adopté un projet de décret-loi portant réorganisation de la place Casablanca Finance City, pas plus tard que le 24 septembre dernier, en Conseil de gouvernement, publiant aussitôt ce décret-loi au Bulletin officiel… Preuve de son engagement ferme et officiel.
Le dynamique ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun, qui, face à son homologue européen Paolo Gentiloni, avait argué de toutes ces réformes –celles effectives et celles qui étaient en cours- pour une sortie définitive du Maroc de la liste grise, lors d’une réunion en février 2020, était en droit d’espérer… D’autant que 2 mois plus tard (30 avril 2020), une publication du Conseil de l’UE affirmait avoir analysé en détail les réformes du Maroc et qu’«à la lumière de l’évaluation faite» par rapport à «tous les critères du Code de conduite CCG» le régime fiscal du Maroc «n’est pas dommageable».
A qui la faute alors, si le couperet de l’UE a maintenu le Maroc dans la «liste grise» cette semaine ?
Non. Le ministère des Finances n’y est pour rien. C’est lui faire un faux procès que de lui reprocher de n’avoir pas encore mis en œuvre les résolutions des Assises de la fiscalité. Les perturbations de la crise Covid-19 n’ont rien laissé faire normalement…
Les moins enclins à l’optimisme, parce que plus près de l’information, savaient qui serait la cause du maintien du Maroc dans la «liste grise»: l’OCDE qui n’avait pas encore donné son évaluation !
En effet, si les réformes portant sur les entreprises et les zones de libre-échange ont été approuvées par l’UE, il manquait l’avis de l’OCDE sur Casablanca Finance City (CFC). Car, seule l’OCDE est habilitée à juger de la conformité fiscale des places financières. Or, le Conseil Ecofin, composé des ministres de l’Economie et des finances de tous les Etats membres de l’UE, le dit: «Le processus d’appréciation du régime fiscal de CFC par l’OCDE, toujours en cours, n’a pas permis aux ministres des Finances de l’UE de confirmer également la conformité de ce régime aux nouvelles normes».
Pour de nombreux commentateurs marocains, non seulement l’OCDE prend son temps, mais en plus, sa partialité est sujette à caution, au regard de son attitude moins sourcilleuse concernant certaines places où les intérêts de ses Etats membres sont en jeu… Comme celle du Luxembourg, pour ne citer que cet exemple…
Recalé à cette 1ère évaluation d’octobre 2020, le Maroc attend désormais la prochaine mise à jour des délibérations qui aura lieu en février 2021, comptant que l’OCDE aura, cette fois-ci, donné son «appréciation» qui permettra la sortie du Maroc de la «liste grise», puisque Rabat aura rempli tous ses engagements pour la conformité de son système fiscal aux nouvelles normes de l’UE.
Bahia Amrani