Décision sans délai d’application. Déficit de communication. Préjudices en série. Protestations, confusion, désobéissance. Recadrage du CNDH.
Le pass vaccinal est devenu un document indispensable au Maroc. C’est le gouvernement qui en a décidé ainsi. Cette mesure prise dans le cadre du décret-loi 2-20-292 du 23 mars 2020, portant déclaration de l’état d’urgence sanitaire et les dispositions relatives à son application, est considéré par ses détracteurs, comme un grand flop à plus d’un égard.
Pourquoi faire tout de suite est pas plus tard?
La décision d’imposer le pass vaccinal a été brusque. De plus, aucun délai n’application n’a été prévu, puisque le communiqué annonciateur de cette nouvelle mesure rendu public le 18 octobre 2021, a fixé un délai de 48 heures pour son entrée en vigueur (21 octobre 2021). N’aurait-il pas été mieux d’expliquer la légitimité du pass vaccinal avant son instauration?
Telle est la question que se posent aujourd’hui une grande partie de la population, ainsi que d’éminentes personnalités politiques et représentants de la société civile, regroupés dans un collectif citoyen qui appelle à l’ouverture d’un débat national autour de la pertinence d’utiliser un pass vaccinal au Maroc, au moment où les indicateurs épidémiologiques au niveau national sont au vert.
Une communication absente !
Une semaine après son application, le passeport vaccinal n’est toujours pas accepté parmi le plus grand nombre de Marocains, à cause d’un déficit déconcertant de communication de la part du gouvernement.
S’il est vrai que le pass est aujourd’hui instauré dans de nombreux pays occidentaux, il faut bien souligner que de l’autre rive de la méditerranée la communication (gouvernementale) de crise est irréprochable.
Au Maroc, il semble que les gouvernements successifs n’ont pas vraiment saisi l’importance de la communication, surtout en temps de crise.
Désagréments et préjudices à la pelle
Le pass vaccinal est entré vigueur sur l’ensemble du territoire national depuis une semaine (21 octobre 2021).
Pourtant, il continue d’être à l’origine de désagréments et préjudices à la pelle. Et ce ne sont pas les non-vaccinés, qui ne disposent pas du passeport vaccinal, qui diront le contraire (Impossibilité d’accéder aux administrations, entre autres espaces publics). Les vidéos qui pullulent depuis quelques jours sur les réseaux sociaux, montrent des accrochages verbaux entre certains récalcitrants à la vaccination et au pass vaccinal qui va avec, et le personnel chargé d’en vérifier la disponibilité et la validité.
L’incident le plus grave a été enregistré dans un café à Rabat, samedi 23 octobre 2021, lorsqu’un serveur a été physiquement attaqué par un client qui n’a visiblement pas apprécié le fait de devoir présenter son pass vaccinal.
La désobéissance s’organise
Alors que la désobéissance à la décision gouvernementale de rendre obligatoire le passeport vaccinal, se fait de plus en plus grande sur le terrain et à travers les réseaux sociaux, le ministère de la Santé se dit satisfait de l’affluence record observées ces derniers jours, de la part des citoyens, dans les centres de vaccinations et vaccinodromes installés dans plusieurs villes du Royaume.
Ce que le département de Khalid Aït Taleb oublie de préciser, c’est que cette affluence pose en elle-même problème, dans la mesure où les encombrements dans certains points de vaccinations, surtout dans les quartiers populaires, constituent un facteur propice à la propagation encore plus rapide de la Covid-19.
La confusion règne
Mesure injuste pour les uns, salutaire pour d’autres, le pass vaccinal divise la population marocaine. Une seule vérité, cependant, le flou dans lequel baigne la société. D’un côté, les vaccino-sceptiques persuadés que les vaccins anti-Covid-19 auront des effets négatifs sur la santé et que le pass vaccinal est une atteinte flagrante à la vie privée et données personnelles. De l’autre côté, les pouvoirs publics et la communauté scientifique qui rassurent sur le fait que la vaccination demeure le seul moyen pour atteindre l’immunité collective et ainsi sortir de la crise sanitaire avec les moindres dégâts possibles.
Le CNDH se joint au débat
Le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), a pris part au débat actuel autour du pass vaccinal. Dans une lettre adressée au Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, le 24 octobre 2021 (3 jours après l’entrée en vigueur de l’obligation du pass vaccinal), l’Instance présidée par Amina Bouayach affirme avoir reçu plusieurs plaintes de la part de citoyens «privés de certains services publics et privés, comme les moyens de transport, les commerces ou les administrations, sans aucune mesure alternative».
Soulignant les écarts enregistrés au niveau de la mise en œuvre de cette décision au niveau des administrations publiques et des entreprises privées, le CNDH a soumis une série de recommandations au gouvernement visant à protéger les droits des citoyens pendant cette période exceptionnelle. Le Conseil appelle ainsi l’Exécutif à renforcer la communication auprès des citoyens non encore vaccinés afin d’atteindre l’immunité collective contre la Covid-19.
Le CNDH exhorte également le gouvernement à œuvrer pour garantir l’accès des Marocains aux lieux publics et notamment les services publics, dont l’accès ne peut être restreint, sans une décision et sans prendre les mesures transitoires nécessaires de façon à ne pas porter préjudice aux droits des individus et des groupes à bénéficier de ces services. Par ailleurs, le Conseil appelle à fixer un délai raisonnable afin de permettre aux citoyens de s’adapter aux différentes mesures prises pour tenter de freiner la propagation de la Covid-19, au niveau national.
Mohcine Lourhzal