Le nombre des immigrés subsahariens a quadruplé, selon Abdelilah Benkirane, le Maroc s’étant transformé en pays d’accueil; sans oublier la traite des êtres humains.
Migration et mobilité, c’est le thème choisi pour la première séance mensuelle de politique générale de cette session printanière à la Chambre des conseillers. Le sujet a été qualifié par des conseillers de groupes parlementaires divers de «plat réchauffé», sans doute pour justifier le fait qu’ils ne se sont pas bousculés au portillon de la deuxième Chambre. En effet, ils n’étaient pas plus d’une soixantaine à suivre une séance qui a quand même duré un peu plus de deux heures et connu un bras de fer majorité-opposition, le chef de gouvernement ne renonçant pas à son habitude de sorties médiatiques.
Même si le ministre chargé des RME et des Affaires de la migration, Anis Birou, a gavé les conseillers de chiffres concernant la migration pendant ces derniers mois, Abdelilah Benkirane, de son côté, ne s’en est pas privé. Il a informé que le lot du Maroc en immigrés clandestins est de 30.000, de 530 réfugiés et de 3.000 demandeurs d’asile, sans omettre de livrer un chiffre qui donne à réfléchir: 70.000 migrants en situation régulière!
Le chef de gouvernement a tenu à situer la migration dans son contexte régional et africain pour expliquer les raisons qui l’engendrent, dont la famine, les guerres et les crises politiques ou économiques. La migration internationale frôle, a-t-il dit, 240 millions de personnes, dont 97 millions du Sud vers le Nord et 74 millions Sud-Sud. Un sujet, souligne le chef de gouvernement, qui prête à débat et qui est politisé et «électoralisé» à outrance.
Le Maroc, a rappelé Benkirane, a été terre de migration par excellence, ce qui en a fait un Etat d’exportation de la migration, avant de se transformer en pays de transit, puis en pays d’accueil. De ce fait, a dit le chef de gouvernement, le nombre des immigrés subsahariens a nettement progressé, sachant que les moyens du Royaume ne lui permettent pas de leur assurer du travail et les conditions d’une vie décente du fait de la nette progression du flux migratoire.
SM le Roi Mohammed VI, a rappelé Benkirane, a appelé à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une stratégie nationale de la migration. La Constitution 2011 a dans ce sens réservé un intérêt particulier à la migration et à la lutte contre toutes les formes de discrimination. Tous ces acquis et efforts n’ont pas empêché le chef de gouvernement de reconnaître l’existence de «failles face à ce phénomène de la migration».
Face aux efforts consentis pour mettre en œuvre les dispositions de la stratégie nationale de l’immigration, laquelle met l’accent sur la nécessaire intégration des immigrés dans la société marocaine, Abdelilah Benkirane a mis le doigt sur un autre point tout aussi sensible, à savoir la lutte contre la traite des êtres humains. Aussi a-t-il appelé à s’attaquer sévèrement à ce phénomène en neutralisant ces réseaux spécialisés qui se lancent à partir de l’Oriental. Il a aussi appelé au renforcement de la surveillance des côtes maritimes pour freiner la migration des clandestins; surveillance qui a valu au Maroc la considération internationale. En effet, selon le chef de gouvernement, le Maroc a enregistré, depuis 2007, l’arrestation de 9.170 personnes et démantelé 1.174 réseaux de traite des êtres humains, fruit de la vigilance des sécuritaires qui opèrent sur les plages et les forêts qui hébergent les immigrés clandestins.
Réussir ce challenge, a conclu Benkirane, reste tributaire de la participation effective de l’Etat et de la société civile dans la mise en œuvre sur le terrain de la politique nationale de l’immigration. Et de réitérer la volonté du gouvernement de faire réussir ce chantier, conformément à l’approche intégrée prenant en compte le nécessaire partenariat avec les acteurs internationaux.
Concernant le débat, c’est l’opposition qui a ouvert le bal. Hakim Benchemmas, chef du groupe PAM à la Chambre des conseillers, a dit, clouant au pilori le gouvernement: «Nous n’avons décelé aucun indice sérieux qui témoigne de mesures concrètes pour soutenir une politique migratoire et les contours d’une politique complémentaire dans ce volet». Benchemmas s’est appuyé, pour stigmatiser le gouvernement, sur le rapport du comité onusien des travailleurs et des migrants qui, tout en saluant l’initiative royale et le rapport du CNDH, a enregistré des remarques négatives à l’adresse du gouvernement.
La majorité a de son côté salué l’action du gouvernement pour réformer le système relatif à l’asile et à l’immigration, sur initiative royale et suivant les recommandations du Conseil national des droits de l’homme (CNDH).
On s’en souvient, SM le Roi Mohammed VI avait exhorté l’ensemble des pays participant au sommet de l’Elysée sur la paix et la sécurité en Afrique (décembre 2013) à développer une nouvelle approche migratoire basée sur une démarche volontariste, généreuse et humaniste, tout en prenant en considération les impératifs sécuritaires.
Mohammed Nafaa
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Ce qu’en disent les groupes parlementaires
Parti Authenticité et Modernité
«Vous n’avez rien dit sur l’affaire des 35.000 Marocains expulsés d’Algérie, ni sur le drame des Marocains dans les pays du Golfe, ni sur les Marocains du monde, ni encore sur l’encadrement religieux qui pose de grandes questions. Enfin, vous n’avez rien dit sur le phénomène du jihad des Marocains en Syrie».
Parti de l’Istiqlal
«Nous remarquons un ralentissement des travaux des commissions régionales de la migration. Les Marocains résidant à l’étranger vivent une situation lamentable en Hollande, par exemple».
Mouvement Populaire
«Il faudrait revoir le statut des associations pour soutenir celles qui soutiennent la migration. Il faut aussi combattre la traite des êtres humains».
Rassemblement National des Indépendants
«C’est un dossier qui devrait évoluer loin de toutes spéculations politiques».
USFP
«Nous saluons l’initiative royale qui est en harmonie avec notre vision et nos choix et qui a un impact positif quant à l’amélioration de la place du Maroc sur les scènes internationale et onusienne. Le gouvernement devrait évaluer la facture économique de cette initiative pour sa mise en œuvre».
Union Constitutionnelle
«Le phénomène de la mendicité des immigrés africains monte en flèche».
Groupe Fédéral
«Nous ne partageons pas la politique migratoire du gouvernement, ainsi que votre gestion du dossier des Marocains du monde qui est loin d’être ambitieuse».
Union Nationale du Travail
«Où en est le dossier des immigrés marocains dans les pays du Golfe?».
MN
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Les mots de la fin de Benkirane
– J’éviterais de débattre, ici, du dossier des Marocains du monde. Il n’est pas à l’ordre du jour de cette séance. Ces Marocains ont la priorité et, par respect pour eux, ils doivent figurer en tête de liste et non à la fin de l’ordre du jour. Je reste quand même disposé à débattre le sujet ultérieurement.
– Je ne sais pas comment il a échappé aux conseillers que la migration n’était pas constituée uniquement d’Africains, mais également de ces «qawarib al maout» (pateras)! Il y a eu aussi la migration de «Ikhwanouna» (nos frères) européens en tant qu’ouvriers du bâtiment et dans d’autres corps de métier…
– Ce qui me peine, c’est que certains ne nous reconnaissent pas l’existence d’une stratégie migratoire.
– Le chef de gouvernement est devenu comme un ballon dans un stade. A peine celui-ci touche-t-il le sol qu’il est frappé par un joueur. Maintenant, il faut prévoir d’où vous allez recevoir le coup.
– Qui dit que le chef de gouvernement sait tout? C’était peut-être le cas pour les chefs de gouvernement précédents. De toute façon, moi personnellement, je ne sais pas tout.
– Je me dis souvent que je ne devrais pas rire, mais il n’est pas possible que je reste «m’aâbbas» (renfrogné) tout le temps.
– J’entends certains Marocains parler un langage dégoûtant. Dans le dialecte marocain, on dit: «Klam kay âayyafe». Je ne connais pas le synonyme en arabe classique.
– La culture d’origine de SM le Roi Mohammed VI est islamique (wal-hamdou lillah âala lotfi Allah). C’est pour cela qu’il est Amir Al Mouminine. Il règle la balance et oriente l’Etat vers les choses auxquelles celui-ci n’a pas fait suffisamment attention. Dieu l’en remercie, pour l’Etat et le gouvernement.
– Je n’ai pas encore bouclé deux années et demie à la tête du gouvernement et, si vous me comptez les jours, c’est que «ma skhitouch biya».
– Lorsqu’il n’y a pas de directives royales, les choses vont doucement.
– Le Roi est le chef de l’Etat, si Imarat Al Mouminine ne vous suffit pas. Nous sommes aujourd’hui un Etat qui est donné dans le monde comme un exemple de stabilité dans un environnement trouble. Les résultats obtenus jusqu’à présent sont honorables pour le Maroc, entre autres pour le gouvernement… (Huées de l’Hémicycle)… Ne m’interrompez pas; je ne vous ai pas interrompus, moi».
– Unanimement, le Roi est «foq ryousna».
– Nous sommes un pays souverain avec une politique autonome. Quand je visite des pays étrangers, principalement d’Europe, je ne leur demande pas de contrepartie pour notre défense et pour le contrôle maritime et des frontières. «Hchouma!».
– Quand je discute avec un responsable étranger, je lui signifie que je ne veux pas lui arracher une déclaration positive concernant le Sahara. Je lui dis: «Je veux seulement que vous compreniez la situation dans cette partie du monde. Nous ne mendions pas. «Jou3i» (Ma faim) est dans mon ventre, «wa 3anayti frassi». Qu’est-ce que ça veut dire: donnez-moi en contrepartie…? Mais qu’est-ce que c’est que ce langage, «wal bakor al handi…?
– Il y a aujourd’hui des servantes qui nous viennent de Malaisie et des Philippines. J’espère ne pas entendre demain des choses affreuses sur elles, comme c’est le cas dans d’autres pays. J’ai demandé au ministre de l’Intérieur ce qu’il en est de ce phénomène. Il m’a répondu que des cas existent. Je me suis promis de traiter personnellement ce sujet.
– Je ne suis pas du tout contrarié de savoir que les frères (de l’opposition, Ndlr) s’opposent à notre politique (du gouvernement). Ce que nous craignons, c’est l’aliénation, à savoir qu’ils deviennent sans politique, qu’ils suivent la politique des autres et que l’on perde l’indépendance de nos institutions.
MN