Pêche | Polémique autour de l’engraissement du thon rouge

Bassin d’élevage de thon rouge à Larache

Les professionnels de la pêche artisanale et côtière vivent une situation difficile. La baisse drastique de la ressource a compliqué les sorties en mer, où les poissons se font rares, affirment cette semaine à Le Reporter plusieurs de ces professionnels, lesquels confirment la rareté de nombreuses espèces, notamment dans la zone située entre Larache et Kenitra.

«Nous l’avons, tous, constaté, les captures des poissons ont fortement baissé. Cette situation s’est accentuée depuis ces dernières années», témoigne Yassine, un patron de pêche opérant dans la pêche sardinière à Larache. «On n’avait jamais vécu une telle situation. Il n’y a presque pas de poisson dans les eaux de Larache où les Anchois et la Sardine se font rares», confirme aussi Noureddine Loudiyi, patron de pêche retraité depuis trois ans.

Selon cet ancien professionnel de la mer, les prises des pêcheurs auraient diminué de plus de 70% durant les vingt dernières années. «Les eaux de Larache étaient très poissonneuses. Mais les temps ont beaucoup changé. Aujourd’hui, les pêcheurs remontent très peu de poisson par rapport aux années précédentes. Ils doivent maintenant s’aventurer de plus en plus loin des côtes et rester plus longtemps en mer pour trouver le poisson», regrette N. Loudiyi. Une dure réalité qui, dit-il, frappe les opérateurs du secteur de la pêche côtière et artisanale. Ce dont convient aussi une source à la Coopérative Lixos de la pêche artisanale à Larache. «La situation est alarmante et doit interpeller les responsables du secteur sur la chute des réserves», concède un professionnel membre de cette coopérative. Il prévient: «si rien n’est fait, les apparitions des poissons, comme la sardine ou encore l’anchois, se limiteront uniquement aux livres d’Histoire».

Aujourd’hui, les captures de sardines, d’anchois et de crevettes roses ne représentent plus qu’environ 50% du total des prises dans la zone, il y a encore quelques années. Cette situation est le signe qu’il est temps pour le département de la pêche de prendre sa responsabilité et de sauver les stocks qui sont de plus en plus en baisse, selon les estimations d’un autre professionnel de la pêche artisanale à Larache. Celui-ci se dit très inquiet et affirme que la baisse de ses prises est le résultat à la fois de la pollution due à l’élevage du thon et de l’installation des bassins (cages) près des côtes de Larache, en eaux peu profondes.

A 126 km du port de Larache, un autre port, cette fois celui de Mehdia à Kenitra, la situation y serait aussi grave. «La zone de Kenitra était riche d’un stock important de poisons, notamment en crevette roses. D’ailleurs, à une certaine époque, on allait même y construire un port dédié à cette espèce pour la pêche hauturière», affirme Larbi Mhidi, le président de la Confédération nationale de la pêche côtière (CNPC). Mais, dit-il, aujourd’hui, les crevettes roses ont pratiquement disparu dans la zone. «Les pêcheries sont presque asséchées. Au point où plusieurs professionnels ont été forcés de vendre leur bateaux», fait savoir cet armateur de Kenitra, ajoutant que jusqu’à présent, dix bateaux de pêche côtiers sont déjà cédés. «Le port ne compte actuellement qu’une vingtaine de bateaux. Mais, avec cette baisse qui s’accentue, d’autres pourraient être également vendus à des armateurs qui opèrent dans les provinces du sud», dit Larbi Mhidi. De quoi inquiéter les pêcheurs qui cherchent à en déterminer les causes, notamment du côté de la population des sardines, d’anchois et des crevettes roses, dont les stocks n’ont jamais été aussi faibles, selon les dires de nos sources professionnelles.

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A qui la faute ?

Quelles sont les explications de ce phénomène? A qui la faute? Surpêche, pêche électrique, pollution, etc. Les raisons sont multiples, comme le souligne Noureddine Loudiyi. «Le problème majeur c’est surtout la surpêche, l’utilisation de moyens de pêche prohibés et l’absence d’un repos biologique, comme cela se fait pour le poulpe, c’est ce qui conduit en général à la destruction des stocks des poissons», dit N. Loudiyi, qui évoque, à cette occasion, le problème des chalutiers lesquels, déplore-t-il, ont dépouillé la mer. «Dans la zone de Larache, il y a actuellement entre 120 et 130 chalutiers, contre 5 chalutiers il y a quelques années. Ces chalutiers ne respectent pas les normes légales et pêchent dans des zones non autorisées. Ils opèrent  jour et nuit en utilisant certains filets qui nuisent aux ressources», explique ce professionnel de la mer. 

Autre explication de cette baisse des réserves: la pollution des eaux. «Nous avons remarqué que les eaux du littoral de Larache présentent une certaine dégradation. Les scientifiques de l’INRH ont effectué une étude dans la zone. Mais les résultats de cette étude ne sont pas encore dévoilés. On ignore donc la source de cette pollution», souffle un autre patron de pêche à Larache, qui a requis l’anonymat.
La pollution des eaux pourrait-elle être à l’origine de la baisse des poissons? La question mérite en tout cas d’être posée. D’autant qu’une activité d’élevage de thon rouge à Larache serait actuellement au centre d’une grande polémique. En effet, une partie des professionnels pointe cette activité et prévient contre l’impact que pourrait avoir la pratique de l’élevage du thon rouge sur les stocks de poissons.
Cette activité suscite de vives inquiétudes dans la mesure où le problème serait renforcé avec la création de la première ferme d’«engraissement du thon» près des côtes de Larache et d’une autre dans la zone entre Asilah et Mehdia, selon nos sources à Larache.

Les grandes quantités de poissons utilisées pour engraisser les thons seraient un sujet de forte inquiétude. Nos sources soulignent qu’entre 80 et 150 tonnes de poissons sont déversées, chaque jour, dans les 18 bassins que compte la ferme d’engraissement du thon rouge de Larache. Dans les détails, cette activité consiste à capturer ce poisson vivant en mer de près de 120 kg puis à l’enfermer dans des bassins d’élevage où il est engraissé en vue de son exportation au Japon. Après leur capture, les thons rouges sont ensuite remorqués à toute petite vitesse vers les bassins d’engraissement. C’est là où ces poissons sont engraissés quatre à cinq mois, afin d’augmenter le poids du thon (300kg) avant sa commercialisation sur le marché international.

Ce poisson est alimenté avec du poisson local et importé. Des contrats sont conclus avec des pêcheurs marocains pour leur acheter du poisson nécessaire à l’engraissement. Mais cela nécessite des volumes très importants de rejets de petits poisons. Puisque l’activité de l’élevage du thon est peu performante en termes de rendement. Car pour produire un kilogramme de thon rouge, il faut plus de 20 Kg de petits poissons, explique notre source bien informée à Larache. C’est ce qui explique, dit-elle, le recours des éleveurs au poisson importé.

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Le poisson importé, une source de maladies pour les espèces locales ?

Les espèces importées viennent de plusieurs pays, comme l’Argentine et le Mexique, indique-t-on. «Des milliers de tonnes congelées sont stockées dans des entrepôts au port de Larache, sans analyse sanitaire préalable et représentent ainsi un danger réel pour les ressources locales», précise la même source. Et celle-ci d’alerter: «Ce poisson importé est une source potentielle de maladies pour les espèces locales. Car il y a des risques que les poissons importés puissent introduire des maladies qui pourraient toucher la faune locale. Puisque ces espèces ne sont soumises à aucune analyse sanitaire».

L’activité de l’élevage du thon rouge a-t-elle vraiment un lien avec la baisse importante de sardines et d’anchois? La question préoccupe la Confédération nationale de la pêche côtière (CNPC), laquelle affirme avoir déjà interpellé le ministère de tutelle sur le sujet. Son président, Larbi Mhidi déclare à Le Reporter que la Confédération a également adressé dans ce sens une lettre à l’Institut national de la recherche halieutique (INRH) pour avoir des explications scientifiques à cette problématique.

Dans la lettre adressée à l’INRH, et dont Le Reporter détient copie, la Confédération constate que la situation des stocks des poissons dans la zone située entre Asilah et Kenitra est «grave et alarmante». La Confédération impute «la baisse drastique des réserves» à la pratique d’engraissement du thon rouge qui, précise la Confédération, consiste à rejeter, quotidiennement, des dizaines de tonnes de petits pélagiques au niveau de la madrague se trouvant dans cette zone. Ce qui conduit à la destruction des ressources, dont certaines espèces ont pratiquement disparu comme l’Anchois, est-il souligné dans la lettre de la CNPC, laquelle a demandé à l’INRH une copie de  l’étude scientifique réalisée dans le littoral de Larache pour savoir justement l’impact de l’engraissement du thon sur les stocks des poissons. A l’heure où nous écrivions ces lignes, l’INRH n’avait pas encore réagi à la lettre de la Confédération, assure-t-on.

Pendant que les protestations s’élèvent, du côté des éleveurs, on envisage de maximiser la production en lançant de nouvelles fermes d’élevage. A en croire les dires de nos sources, plusieurs autres projets seraient prévus sur le littoral atlantique marocain dans les prochains années. Ils se heurtent déjà aux critiques d’une partie des professionnels mais aussi de certains associatifs locaux estimant l’activité nuisible à l’environnement. Pour autant, les éleveurs du thon rouge  ne désarment pas et font jouer des soutiens politiques pour faire aboutir un nouveau projet, lance une source professionnelle. Celle-ci indique qu’une autorisation vient d’être octroyée pour la création d’une troisième ferme d’engraissement de thon rouge sur la zone atlantique, entre Asilah et Mehdia.

Dans les milieux des professionnels, on craint que cette nouvelle ferme renforce davantage le problème de la diminution des réserves de poissons. Un dossier à suivre.

Naîma Cherii

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