Zoubida, 55 ans, agent d’entretien à l’étranger, en instance de divorce, a deux enfants. Le carnet de chèques, tout comme le mariage, c’est fini pour cette dame. Elle nous raconte pourquoi.
«Je me suis mariée il y a 40 ans, alors que j’avais 15 ans, avec un jeune homme marocain né à l’étranger. Mon père, dont le métier de cordonnier du quartier ne rapportait que des clopinettes, pensait sûrement que la chance avait enfin daigné se tourner du côté de sa petite famille. Il n’était pas seulement question d’une bouche en moins à nourrir. Ce qu’il espérait était l’aide pécuniaire déléguée par l’une de ces filles qui allait quitter le cocon familial pour l’étranger. A dire vrai, il n’y avait pas que lui pour y voir une aubaine. Ce n’était un secret pour personne: se marier avec un émigré était le rêve que caressait toute jeune fille de condition modeste. Et moi, à cette époque, malgré mon si jeune âge, je ne sortais certainement pas du lot. Le mari qui m’était destiné était le fils aîné de nos voisins. Des gens que l’on ne connaissait pas beaucoup. On les voyait arriver chaque année pour les vacances, tassés dans un break chargé à l’arrière de ferraille, valises, couvertures et mobilier. Que le tout eût été neuf ou récupéré ne nous importait peu. Oui, parce que, même ce bric-à-brac, nous l’envions. Leurs enfants, devenus adultes, venaient en stars parader dans notre paisible quartier avec leurs bolides rutilants, affublés sportswear «vrai» de «vrai». Aux yeux de tous, ils étaient considérés comme étant d’excellents partis et eux se jouaient de ce statut de privilégiés.
Après mes noces, il s’en était fallu de peu pour que mon mari m’abandonne à mon triste sort. Je pleurais cette situation. Si seulement j’avais pu savoir de quoi il en retournait! L’honneur de ma famille et le mien fut restauré deux longues années plus tard, lorsque mon époux vint me récupérer. Dès que je mis les pieds dans ce pays étranger, une vie très dure m’attendait. Ma belle-famille m’avait choisie jeune et sans instruction pour m’occuper, sans jamais pouvoir me rebeller contre un vrai salopard. Mon mari -je le découvris- était pervers et alcoolique. J’ai eu des enfants, parce qu’il fallait en avoir. Enceinte et prête à accoucher, je recevais des raclées et me faisais traiter de prostituée. Il m’obligeait, à peine maman, à aller travailler au noir pour lui rapporter de quoi se saouler et s’adonner à son sport favori, l’infidélité. J’étais en quelque sorte séquestrée.
J’ai vécu ainsi de nombreuses années, jusqu’à ce que la mort me délivre de ce monstre. Je m’en suis sortie grâce à l’assurance que j’avais perçue et à mon travail. J’ai pu acheter une maison et j’ai continué d’assurer le nettoyage dans deux entreprises, tout en élevant mes enfants dans la totale sérénité. Une fois mes gosses installés en couple, j’eus la mauvaise idée d’accepter la demande en mariage d’un homme du pays. Au départ, n’espérant pas plus, je le rencontrais de temps à autre, lors de mes retours en vacances au pays. Il entretenait avec moi un contact régulier. Il m’avait fait croire avec constance qu’il s’inquiétait de ma santé, de mes vieux jours dans la solitude. Il semblait aussi être prémuni contre toutes sortes de revers de fortune. Il possédait une belle demeure, un véhicule luxueux, m’offrait de beaux cadeaux. Il avait même pris en charge toutes les dépenses de mes dernières vacances. Incontestablement, je me sentais adulée. Aveuglée par ces artifices, croyant fortement à un vrai mariage d’amour, j’ai consenti à cette union légale. Je m’en veux terriblement de ne pas avoir eu l’intelligence de me renseigner sur lui. Mes enfants, très dociles et complètement enrôlés dans leur nouvelle vie de couple, approuvèrent mon choix. Quelle chance pour ce beau-père, un escroc de la pire espèce!
Dans la même année de mon tout frais mariage, alors que j’étais chez moi à l’étranger, je reçus un appel de mon frère. Il était question de graves problèmes avec ma banque. Terrorisée, je tentais de joindre mon mari. Ce silence radio et la discussion avec ma banque me firent prendre le premier avion. Je n’avais plus un centime sur mon compte, je devais aussi procéder au recouvrement de chèques sans provision. Je n’y comprenais rien, je n’avais jamais retiré de telles sommes et je n’avais jamais acheté quoi que ce soit. Naïve que j’étais, je continuais d’appeler mon époux. J’avais besoin de son soutien, mais il restait injoignable, introuvable. Il s’était bizarrement volatilisé. Jusqu’à aujourd’hui, impossible de mettre la main dessus.
Je n’eus guère besoin de temps pour être frappée par une monstrueuse réalité. J’avais été victime d’abus de confiance et de vol. Je n’avais jamais fait attention à mon chéquier, il était généralement dans mon sac ou dans un de mes tiroirs. Je découvris que mon époux m’en avait subtilisé quelques feuillets. Il s’en était servi en falsifiant ma signature. D’abord pour me dépouiller de mes économies et pour offrir à sa maîtresse des bijoux en or et de l’électroménager dernier cri. Après moult investigations, j’ai trouvé l’adresse de livraison et je m’y suis rendue. Je fus reçue par une très jeune personne qui semblait tout à fait intriguée par mon récit. Elle nia connaître mon époux et prit congé de moi avec politesse. Je ne pouvais me permettre de m’en prendre à elle. Pour me dépêtrer de ce qui pouvait me coûter la prison, je fus obligée de contracter des prêts en hypothéquant ma maison, mon seul et unique bien. Je ne sais pas ce qu’il serait advenu de ma personne si je n’avais pas eu de maison, ni de travail. Aussi, puisque les supplices me viennent du mariage, je n’ai pas attendu, pour demander le divorce sans aucune poursuite. Il ne faut pas se leurrer, ce genre d’individu ne m’aurait jamais rien remboursé de toute façon. Ce que j’ai entrepris avec le plus grand soin, c’est de réduire en confettis tous mes carnets de chèques et de les brûler. Une chose est sûre, eux et le mariage, plus jamais je n’en redemanderais».
Mariem Bennani