Ces dernières années, les ouvertures des garages « vendeurs » de pain s’enchainent dans plusieurs quartiers populaires de Casablanca. Dans de nombreuses communes, cette activité s’est développée à une grande vitesse.
Pourquoi le pain est-il si mauvais sur nos marchés? Combien de fois entend-on cette question? Aliment indispensable dans l’alimentation des Marocains, le pain fait, depuis plusieurs semaines, l’objet d’une grosse polémique liée essentiellement à sa composition.
Cette polémique ne cesse d’ailleurs d’enfler depuis les déclarations de la fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC) et du SG de la Fédération nationale des propriétaires de boulangeries et des pâtisseries qui « déplorent la mauvaise qualité des céréales et du pain en vente au Maroc».
Beaucoup trop de sel et du sucre et des substances controversées…etc. Dans son communiqué, rendu public en janvier 2021, la FMDC s’alarme aussi sur le fait que la farine utilisée dans la fabrication de la grande majorité des pains commercialisés sur le marché contiendrait des pesticides.
Le président de la FNBP pointe l’informel
Le pain vendu sur nos marchés est-il si mauvais pour la santé que ça ? Le président de la Fédération nationale des boulangeries et pâtisseries du Maroc (FNBP), Lhoucine Azaz répond à cette sempiternelle question dans un entretien téléphonique. «Nous ne pouvons en aucun cas utiliser une farine de mauvaise qualité. D’ailleurs, il y a un cahier des charges qui est dédié à la profession et qu’il faut respecter par l’ensemble des professionnels. Et il est impossible que les farines des minotiers ou des boulangeries modernes soient d’une qualité douteuse», assure Lhoucine Azaz.
Mais, reconnait-il, «On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de pain de mauvaise qualité sur le marché. Car il y a aussi l’informel ». Le président ne manque pas d’arguments. » Ce sont les gens qui travaillent dans ce secteur qui font du pain de mauvaise qualité. On voit d’ailleurs -sur nos marchés ou souks- du pain fait dans des garages, sans autorisation sanitaire et sans contrôle», déplore ce professionnel de la boulangerie, ajoutant que la fédération n’a pas cessé de contester l’existence de ces garages. Un sujet, qui, depuis plusieurs années, fait l’unanimité à la FNBP, indique Lhoucine Azaz. «On court tout simplement à la catastrophe avec la prolifération de ces garages», prévient le président de la fédération.
Des autorisations « Moujamala » accordées par les Communes
Qu’en est-il de ces garages ? Les pains proposés aux consommateurs sont-ils faits dans le respect des règles d’hygiène par les propriétaires de ces garages? Y-a-t-il un contrôle de ces lieux par les services d’hygiène? Mais avant, ces lieux sont-ils autorisés?
Selon nos sources proches du dossier, des autorisations « Moujamala » sont accordées par les communes aux propriétaires de ces garages pour vendre les crêpes, Mssemen Rghaif et Meloui, mais la réalité étant que la grande majorité de ces garages proposent aujourd’hui du pain, lancent les mêmes sources.
Aux dires d’un agent d’hygiène et de la santé, le danger que courent les personnes qui consomment du pain fait dans des garages, sans autorisation sanitaire et non contrôlés, est énorme.
Au sein du ministère de l’Intérieur, il semblerait que l’on prépare de nouvelles directives pour mettre de l’ordre dans le secteur. Mais en attendant des mesures concrètes, une circulaire diffusée par ce ministère, en 2019, appelle les acteurs souhaitant exercer cette activité au respect strict du cahier des charges. Ce document référentiel pour le métier permet de mettre de l’ordre dans un secteur qui plie sous le fardeau de l’informel et le non-respect des conditions sanitaires et d’hygiène, expliquent des professionnels de la boulangerie. Mais, disent-ils, sur le terrain, la situation est toute autre.
Situation préoccupante…
Notre observateur, un associatif de la place, dénonce, lui aussi, une situation devenue préoccupante à Casablanca. Plusieurs quartiers populaires sont aujourd’hui le théâtre d’une prolifération de garages clandestins qui fabriquent du pain, souffle notre source, habitant de longue date de Casablanca.
« Ces dernières années, les ouvertures de ces garages s’enchainent dans plusieurs zones de la ville. On ignore leur nombre exact. Mais chaque année, on voit de nouveaux garages surgir », précise-t-il. Dans de nombreuses communes, poursuit-il, cette activité s’est développée à vitesse grand V.
Notre observateur pointe plusieurs défaillances. D’un autre côté, dit-il, les propriétaires de ces lieux utiliseraient un blé d’une mauvaise qualité et travaillent dans des locaux minuscules. Les choses seraient moins claires avec les pains vendus dans ces garages, où le client ne sait pas toujours l’origine de la farine utilisée dans la fabrication du pain, explique notre associatif. De l’autre côté, ces garages ne sont pas autorisés à vendre le pain, et pourtant ils en proposent à leurs clients, rappelle notre source, qui pointe le manque de contrôle.
Un pain à la portée de toutes les bourses !
Il est 16h20. Devant un garage ouvert il y a quelques mois à Derb Sultan au cœur de Casablanca, les clients sont nombreux à attendre leur tour pour acheter Mssemen Rghaif, Meloui, baghrir, harcha, batbout et pain chaud.
Sur une table montée pour l’occasion, Mohamed, locataire de ce garage, s’active à confectionner différentes sortes de crêpes marocaines à une cadence presque mécanique pour satisfaire les commandes de ses clients.
A l’approche de la rupture du jeûne, dit-il, la demande se fait de plus en plus pressante. « Le plus difficile c’est de rester debout toute la journée, et gérer les acheteurs pressés surtout à quelques heures de la rupture du jeûne », souligne notre homme, en gardant un œil vigilant sur son pain exposé à l’extérieur de son garage, dans des paniers non couverts et exposé à la fumée des voitures. Il y a encore un an, Mohamed travaillait dans une société de confection à Casablanca. Mais, dit-il, depuis le déclenchement du virus de la Covid-19 au Maroc, l’entreprise a diminué ses effectifs. « Il fallait trouver un autre boulot pour nourrir ma famille. J’ai du louer ce garage pour me lancer dans cette activité qui est nouvelle pour moi », raconte notre homme.
Le mois sacré du Ramadan donne toujours lieu à la création de certaines activités parallèle. Pour arriver à joindre les deux bouts, Aziza saisit cette période pour confectionner différentes sortes de pain et de crêpes marocaines. « Cela me permet de subvenir aux besoins de ma famille durant le mois de Ramadan et de couvrir d’autres charges en ces temps de crise sanitaire », souligne Aziza, en chômage depuis six mois. Même si, dit-elle, « je dois partager le revenu quotidien avec le propriétaire du garage qui me loue cette petite place pour un mois ».
Trouver ces garages n’est pas chose difficile. Une simple tournée dans certains quartiers populaires de Casablanca confirme le constat rapporté par notre observateur.
Des « garages » proposant différentes sortes de crêpes et de pain maison ont leur mot à dire, surtout que leurs produits sont vendus à des prix très bas. Le pain proposé est parfois exposé devant ces garages sans qu’il soit protégé des insectes et de la fumée des véhicules, constate Le Reporter. Et il n’est pas rare de voir aussi des marchands ambulants vendre leur pain aux abords des voies.
Qu’en pensent les consommateurs ? « Le pain est un aliment indispensable sur notre table. On ne peut pas s’en passer. Les pains des pâtisseries sont chers mais celui vendu dans des garages est à la portée de toutes les bourses», lance une cliente de Mohamed.
« Il y a du bon pain et il y a du pain qui est extrêmement mal fait. Les gens sont prêts à manger n’importe quoi », lance une autre cliente que nous avons approchée ce samedi. « Il suffit que ce soit chaud et son prix n’est pas cher pour que ce soit bon », ajoute notre femme.
Les consommateurs ne se rendent pas compte qu’ils sont exposés à des risques de maladie, en raison du mauvais transport du pain et la façon de conservation de certains vendeurs. Ce commerce a pourtant sa clientèle. Mais le risque que courent les personnes qui consomment ces pains exposés à la poussière des rues sales de Casablanca est énorme, insiste notre observateur.
Naîma Cherii