Le poisson congelé mis sur le marché, depuis le début du Ramadan, pour éviter toute flambée des prix, peut-il constituer une menace pour la santé des consommateurs? La question mérite, en tout cas, d’être posée. D’autant que des sources professionnelles et des consuméristes -approchées par Le Reporter- appellent le gouvernement à arrêter la vente de ce poisson dans les conditions actuelles.
Du poisson congelé vendu dans presque tous les marchés du pays! Depuis le début du mois de Ramadan, de grandes quantités de ce produit de la mer -congelé à bord de quelque 240 bateaux hauturiers- ont été mises sur les étals des marchés, pour assurer un approvisionnement du marché local et éviter toute flambée des prix au détail, comme l’année précédente.
Dès les premiers jours de ce mois sacré, une grande ruée sur ce poisson surgelé a, d’ailleurs, été constatée dans les endroits où ce produit est vendu. Les prix affichés restent, en effet, accessibles aux ménages marocains à revenus modestes. A titre d’exemple, le merlan est vendu à 25 DH le kilo et la sole est cédée entre 30 à 40 DH. Alors que les crevettes sont vendues à 80 DH le kilo, le sargo est vendu à 14 DH, le sabre à 15 DH et le roncador à 14 DH.
«Les prix sont particulièrement abordables», lance un vendeur de la place. Toutefois, tout n’est pas rose. Cette initiative, qui vise à introduire des quantités de poisson congelé suffisantes dans les marchés à prix abordables, suscite pourtant une grande polémique. En effet, quelques jours après le début de l’opération spéciale lancée par des hauturiers, des sources professionnelles et des consuméristes tirent la sonnette d’alarme sur l’éventualité d’une menace pour la santé des consommateurs. Nos sources demandent à l’Etat d’arrêter la vente de ce poisson dans les conditions actuelles.
Y a-t-il réellement lieu de s’inquiéter de la qualité de ce poisson congelé, comme le laisse croire nos sources? Ce produit peut-il constituer une menace pour la santé des citoyens? De l’avis d’un vétérinaire à Casablanca, ce poisson présenterait un risque pour la santé des consommateurs. «La vente de ce poisson congelé se fait à l’air libre, dans la rue. Il y a un réel risque, concernant la consommation de ce poisson», nous affirme ce vétérinaire qui a requis l’anonymat.
Notre interlocuteur assure que les conditions de vente de ce poisson sont illégales. Il note que le transport et l’exposition des produits congelés d’origine animale, en général, sont gérés par un arrêté ministériel, ajoutant que la température du transport doit être inférieure à 18 °C.
«Les produits congelés doivent être vendus dans des magasins équipés de frigos. Mais là, on voit des gens qui ouvrent des boîtes de poisson congelés à l’air libre. Ce n’est pas légal», déplore le même vétérinaire. Et de conclure: «Il faut savoir que tout produit congelé vendu dans de telles conditions -sous le soleil- risque d’être dégelé. Or, à la décongélation, les conditions sont propices à la multiplication des bactéries qui restent vivantes».
Concernant les associations de protection des droits du consommateur, elles se disent aussi inquiètes. Certaines associations saluent l’opération spéciale menée pour l’amélioration des prix. Mais, disent-elles, elles restent prudentes quant à la qualité de ce poisson surgelé. «La diminution des prix constatée est une bonne chose. Mais on fait prendre un risque sanitaire aux consommateurs. Car, ce produit congelé est vendu dans des conditions ne respectant pas la loi. C’est scandaleux. C’est même le summum des infractions que l’on peut commettre. Car le poisson est un produit extrêmement sensible, microbiologiquement», souligne un consumériste. Celui-ci ajoute que les quantités mises sur le marché sont essentiellement constituées de poisson de deuxième, voire de troisième choix.
Outre les conditions de vente, une autre question -et non des moindres- fait aussi polémique. Des sources concordantes au sein de la Confédération nationale de la pêche côtière (CNPC) et de la Confédération nationale de la pêche artisanale (CNPA) évoquent le fait que ce poisson serait un produit de longue date de congélation (deux ans). La traçabilité de ce produit congelé est également pointée du doigt par ces professionnels.
A en croire nos sources, ce produits n’aurait pas été contrôlé. «On ignore tout sur ce poisson. Il n’est pas passé par le circuit normal, puisqu’il n’est pas passé par un marché de gros et n’a subi aucun contrôle vétérinaire au niveau de la vente. Et on n’a aucune preuve que ce produit ne date pas de deux ans ou même plus», affirme une source au Bureau exécutif de la CNPC.
Notre source ne mâche pas ses mots. Selon elle, ce poisson congelé mis en vente n’aurait pas payé les taxes à l’Etat, comme le font les opérateurs de la pêche côtière. Et pourtant, une décision ministérielle, qui devait entrer en application en janvier 2019, soumet la prise des hauturiers à une taxe de 4%. A l’exception du poulpe, tous les produits de mer capturés par ces derniers sont ainsi soumis à une taxation.
Cette décision ne pouvait que satisfaire les armateurs de la pêche côtière. Car, ce sont eux qui avaient fait du lobbying dans ce sens. Et comme un malheur ne vient jamais seul, une autre décision a également été prise fin février dernier. Là aussi, ce sont les opérateurs de la pêche côtière qui étaient derrière cette décision, laquelle interdit aux hauturiers d’utiliser le filet OGV (engins prohibés détruisant totalement la ressource) dans les zones rocheuses.
Pour des observateurs du secteur de la pêche, l’intervention des hauturiers relèverait moins d’un souci de consommateur et des prix que l’on voudrait baisser, que d’un règlement de compte avec les opérateurs de la pêche côtière. Lesquels, avec ceux de la pêche artisanale, ne voient pas d’un bon œil l’initiative des hauturiers de casser les prix.
Naîma Cherii