Pour moi, c’était des gens bien!

Moussa, 58 ans, bijoutier, est marié et père de famille. Ce négociant va faire la rencontre inoubliable d’un gentleman et de son épouse. Lui, si avisé, ne voit rien venir…

«Cela fait trente-cinq ans que j’exerce le métier de bijoutier en toute quiétude. Du moins, jusqu’à il y a quelques semaines, quand je me suis fait avoir comme un bleu.

Non, ce n’est pas avec mes clientes que j’ai eu des problèmes. Toutes, je les connais fort bien. Je sais parfaitement qui elles sont, leurs situations, profession et famille. Cela va sans dire, ma fortune et ma notoriété, je les dois à mes clientes. Elles m’ont toujours témoigné une confiance aveugle pour se parer de bijoux d’or et moi pareil pour leurs règlements échelonnés. De cette façon et par la suite, elles ont parrainé leurs meilleures amies, puis les membres de leurs familles. Avec le temps, j’ai tissé avec elles de solides liens amicaux. Certaines, encore jeunes filles, sont venues dans ma boutique avec leurs futurs époux choisir leurs alliances et leur parure de dot. C’est un grand honneur que d’être associé à l’évolution d’un bonheur futur.

Et puis, il y a celles qui n’ont pas eu de chance dans la vie. Avec le plus grand regret, j’ai dû voir le retour de tous leurs achats.

Il y a aussi celles qui ont pu compter sur moi pour des acquisitions de biens immobiliers ou pour des frais de justice d’un de leurs proches. Même si, parfois, je n’avais pas moi-même les sommes requises à ma disposition, mes confrères se chargeaient de reprendre les marchandises sans entourloupes. Nous sommes généralement assez solidaires dans notre galerie.

Bien sûr, aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de rendre service de la sorte, parce que nous autres bijoutiers, non plus, nous n’avons pas été épargnés par la crise. Nos ventes ne sont plus vraiment au beau fixe. Elles ont considérablement chuté. Nous regrettons tous ce temps révolu où les femmes en pinçaient vraiment pour les lourds bijoux en or massif. Aujourd’hui, elles sont plus nombreuses à rechercher des colifichets ou des parures combinées d’or et de perles. Elles sont plus attirées par des achats de voitures ou de téléphones portables de dernière génération. Cela les met plus en valeur, disent-elles. Et puis, elles courent moins le risque de l’agression pour vol. Pour ma part, je les comprends parfaitement, surtout après avoir vécu ma regrettable expérience…

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J’avais fait fi des nombreux avertissements de mes amis négociants qui s’étaient tous prémunis avec des caméras de surveillance. Mon entêtement allait coûter très cher…

J’étais tranquillement assis dans ma petite boutique à monter un collier. Il s’agissait d’une commande que je devais rapidement exécuter. De ma place, captivé par mon ouvrage, je vis quand même stationner une belle voiture à la porte de mon magasin. Un couple d’âge mûr en est descendu. Ils sont venus directement inspecter ma vitrine. Après quelques minutes, ils se décidèrent à passer la porte. L’homme paraissait être un vrai gentleman. La femme qui l’accompagnait portait une djellaba très chic, avec un foulard et une paire de lunettes griffées. Ce genre de détails n’échappe pas à un commerçant. Pour moi, nul doute que ces personnes fortunées et posées venaient pour un achat. Je me levai très vite de mon tabouret pour les servir. Je croyais avoir vu juste, parce qu’ils visaient mes plus belles pièces. La femme essayait les bijoux et apparemment le choix devait être fait par l’homme. Ils marchandaient un peu, mais je sentais que ma meilleure vente de la journée allait se réaliser. Mon euphorie augmenta et je baissais la garde lorsque, parallèlement, deux de mes clientes favorites entrèrent pour me commander une parure de pierres semi-précieuses et de perles. A ce moment, le marchandage du couple cessa, parce que l’homme reçut un appel téléphonique. Immédiatement après le coup de fil, il me présenta ses excuses, disant avoir une urgence à régler. Il grogna des promesses de retour dans la soirée, puis tira vers la sortie celle qui semblait être son épouse. Avec regret, je les vis monter dans leur voiture et démarrer en trombe.

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Je les oubliai, grâce à mes habituées qui attendaient leur tour.

A la fermeture pour ma pause-déjeuner, je me mis à caser les bijoux que j’avais sortis, hors de ma vitrine extérieure pour les étaler. Généralement, je les dépose sous scellé dans mon présentoir vitré du comptoir. Ils restent là inaccessibles jusqu’à ce que je les remette à leur emplacement. Malheureusement, ma technique de protection contre le vol était dépassée. S’il fallait que je comprenne une bonne fois pour toutes que les temps avaient bien changé et que les voleurs avaient réformé et modernisé leur mode opératoire, ce fut chose faite, lorsque je remarquais que je tenais en main un bracelet qui ne provenait pas de ma vitrine. En plus, il s’agissait d’un bijou de pacotille. De loin, la différence était imperceptible. Je réalisais alors avec horreur que j’avais été dépouillé en toute confiance par ce gentleman cambrioleur et sa prétendue épouse, un couple de voleurs aux apparences bien trompeuses…».

Mariem Bennani

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