La flambée des prix des légumineuses, légumes et autres denrées alimentaires marquant l’arrivée du Ramadan, pourtant considéré comme un mois de piété, inquiète les ménagères. Le Reporter a mené une enquête sur les préparatifs pour ce mois sacré, ainsi que sur les prix des denrées alimentaires.
A l’approche du Ramadan, au lieu de s’y prendre à la dernière minute, les ménagères débutent tôt les préparatifs pour ce mois. Les plus avisées les entament deux mois plus tôt. Faire les grands achats est le premier pas pour mieux se préparer à accueillir ce mois sacré. Vient ensuite l’achat des ingrédients pour préparer les gâteaux du Ramadan, dont la fameuse chebakia, les fours secs, le «sellou» ou «tkawet», ou encore la soupe «harira». Les femmes marocaines se rendent aussi chez les tailleurs traditionnels pour commander des djellabas et des kaftans, ainsi que les hommes, d’ailleurs…
L’ambiance avant le Ramadan
Dans les ruelles des quartiers populaires où il y a des commerces, la population casablancaise s’approvisionne en achetant tout le nécessaire, tout comme dans les surfaces commerciales et les supermarchés de la ville. Alors qu’on est encore à deux semaines du Ramadan, il n’y a certes pas de frénésie d’achat. Pourtant, le souk de Jmiâa est bien approvisionné. Les marchands exposent en grandes quantités leurs marchandises très variées. On remarque les présentoirs et les étalages offrant amandes, noix, fruits secs, graines de fenouils ou anis, dattes, graines de sésame, eau de fleur d’oranger, légumineuses, «chebakia» (gâteaux au miel), «sellou», ustensiles du Ramadan, «illan»…
Habituellement, sur la table, au moment de la rupture du jeûne, on trouve la harira, les œufs durs, lait, café, thé, dattes, «msemen» (crêpes marocaines), «méloui» (autre variété de crêpes), «harcha» (galettes de semoule), viennoiserie, poisson en friture, jus, briouates (briques), fruits… Tout cela, selon les goûts et les bourses, bien sûr. Il y a également le repas du dîner et celui du «shour». Donc, le budget consacré à la nourriture par chaque famille pendant le Ramadan se multiplie par trois ou même quatre. «On se prépare au Ramadan depuis plus d’un mois. J’ai acheté les lentilles et les pois chiches, comme les tomates, le persil, la coriandre et le céleri que j’ai mis en grande quantité dans le congélateur. J’ai aussi acheté des fruits que j’ai épluchés, coupés en morceaux et mis dans le congélateur. J’ai également préparé le «msemen» et le «méloui» que j’ai congelés», souligne Nadia, une jeune femme au foyer. Et d’ajouter: «J’ai aussi acheté les feuilles de brique pour préparer les «briouates», les légumineuses et tous les ingrédients pour préparer le «sellou» et la «chebakia». Mais il faudrait souligner que c’est quand même très cher et on ne sait pas où donner de la tête. Les amandes sont vendues à 80 DH le kilo et les graines de sésame, je les ai achetées à 32 DH/kg. Je trouve que c’est exagéré, surtout pour les personnes ayant des budgets très réduits. Comment est-ce qu’elles vont faire? Elles vont sûrement se priver de beaucoup de choses».
La spéculation des grossistes
«Cela fait trois ans qu’on ne réalise plus de bons chiffres d’affaires. Les recettes sont de moins en moins bonnes et il y a de moins en moins d’affluence dans les souks, comparativement aux années précédentes. La situation empire de jour en jour. La crise, on la ressent de plus en plus. Les prix augmentent quinze à dix jours avant le Ramadan et restent élevés durant les dix premiers jours de ce mois. Les grossistes du quartier Boujdour fixent eux-mêmes les prix, sans qu’ils soient contrôlés par les autorités concernées. Nos gains, quant à nous, ne doivent pas dépasser 2 à 3 DH/kg», annonce Tarik, un «âttar» (herboriste) du souk Jmiâa. Et d’ajouter: «Les graines de sésame, on les achète à 29 DH/kg et on les revend à 32 DH/kg. Les amandes, on les achète à 78DH pour les revendre à 80 DH le Kg. Les cacahuètes dites «beldi», on les vend à 24 DH, tandis que les autres cacahuètes, on les revend à 22 DH. Les pois chiches, on les achète à 16 DH pour les revendre à 18 DH, tandis que les lentilles sont revendues à 14 DH. Les graines de fenouils sont commercialisées à 70 à 80 DH. La marge bénéficiaire de tous les commerçants-détaillants ne dépasse pas les 2 à 3 DH». On ne peut pas revendre nos marchandises à des prix beaucoup plus élevés, parce que le pouvoir d’achat des Marocains a beaucoup régressé. Ils n’achètent plus de grandes quantités; ils sont devenus encore plus économes. Et si les prix des denrées alimentaires grimpent avant le Ramadan, c’est à cause de la spéculation des grossistes. Ils n’arrêtent pas de manipuler les prix», soulève-t-il.
Même son de cloche chez un autre commerçant du souk Jmiâa, à Casablanca. Selon Abid, la spéculation des grossistes n’a jamais cessé, même pendant le Ramadan. «Ça n’arrête pas de spéculer et c’est toujours comme ça. Et ce sont les commerçants-détaillants et les consommateurs qui paient les pots cassés. Notre marge bénéficiaire se réduit de jour en jour et le pouvoir d’achat des gens s’érode. Il nous est arrivé d’acheter une grande quantité d’un produit alimentaire à un prix un peu cher. Mais quand on a commencé à le revendre, on a été surpris par le prix pratiqué par d’autres commerçants qui écoulaient le même produit mais à un prix plus bas. Certes la qualité était inférieure…», témoigne Abid. Et d’ajouter que «les marchandises proviennent de certaines régions agricoles marocaines, mais aussi de l’étranger. Plus particulièrement, elles viennent de Béni Mellal, d’Egypte et d’Inde. Mais les produits dits »du bled » sont plus chers et de très bonne qualité. Les produits égyptiens sont par contre meilleurs que ceux indiens», explique Abid. Concernant les dattes, il précise que «les prix varient selon l’espèce et la qualité du produit. On a une espèce de datte égyptienne qu’on revend à seulement 18 DH/kg. Certes, elle est moins chère mais de bonne qualité. On a une autre espèce de Tunisie; on l’écoule à 25 DH. Puis il y a les dattes importées d’Algérie qu’on revend à 35 DH. Il y en a pour toutes les bourses».
Samira, une mère de famille, affirme que la cherté des produits alimentaires et le budget de sa petite famille la prive de beaucoup de choses. «Chaque année, surtout pendant le Ramadan, je baigne dans la tristesse. Ayant un budget très réduit, je trouve que les denrées alimentaires sont très chères. Je connais de pauvres gens qui sont dans la même situation que moi, sinon pire. Je suis déçue à chaque fois. Je ne suis pas le genre qui demande qu’on l’aide: je me débrouille pour avoir le minimum vital».
Chebakia, gâteau typique du mois sacré
Le Ramadan est un mois sacré de piété et de spiritualité, mais c’est aussi une occasion de réjouissance culinaire. Beaucoup de plats et de gâteaux sont préparés pour la rupture du jeûne. Mais la «chebakia» et la «mkherka» sont les plus demandées. Elles sont parmi les «urgences ramadanesques». Les femmes peuvent les préparer chez elles. Enrobée de miel et saupoudrée de graines de sésame, la «chebakia» dégage une senteur particulièrement appétissante. Ce gâteau, on le trouve également en abondance exposé dans tous les présentoirs et sur les étalages, prêt à être emporté. «Chaque année, on prépare la chebakia pour la vendre aux consommateurs et les gens en raffolent. On la prépare aussi sur commande pour l’envoyer à l’étranger. Ces gâteaux, on peut aussi les préparer à la maison. Dans le commerce, on accorde beaucoup d’importance au côté hygiénique pour avoir une «chebakia» de bonne qualité. On la vend à 25 DH/kg. On produit aussi du «sellou» qu’on vend à 80-130/kg, selon les ingrédients qu’il contient. Il y a également les «briouates», les pastillas et d’autres gâteaux marocains», informe Hicham, un pâtissier traditionnel. Houdaifa, un jeune travaillant dans une pâtisserie réputée, souligne qu’«on vend la chebakia à 70 DH/kg. Les gens en demandent de plus en plus. On prépare, à l’occasion du mois de Ramadan, la chebakia, lemchabka, les briouates, les pastillas, les cigares garnis ou fourrés… Et ça marche toujours. On prépare à l’avance une grande quantité de ces gâteaux dans notre atelier et on les met dans le réfrigérateur. Cela permet de les bien conserver et de les stocker».
Forte demande
«Msemen», «méloui», «razzate al-cadi», «harcha», «batboute» et «baghrir» sont aussi des produits qu’on trouve sur la table du ftour. Les femmes préparent tout cela à la maison, comme elles peuvent les acheter tout prêts. Pendant le Ramadan, on voit souvent des femmes groupées dans un coin du quartier pour vendre tous ces produits qu’elles ont faits elles-mêmes. Rachida, vendeuse de baghrir à «Zankate Chamal», à l’instar des autres vendeuses, se dit très satisfaite durant le mois sacré grâce à la forte demande. «Durant le Ramadan, on produit beaucoup plus de baghrir, de msemen, de méloui, de razzate al-cadi, de harcha et de batboute simple ou farci. Nous repartons chez nous très satisfaites. On vend également le petit batboute. Le prix à l’unité de ces petits batboutes, c’est un dirham. Le msemen, je le vends à 2,50 DH l’unité. Et le Baghrir est à 8 DH la douzaine. J’apporte toujours un stock que je protège de la poussière et du vent. J’accorde beaucoup d’importance à l’hygiène pour fidéliser mes clients», explique Rachida.
Boulif rassure
Le marché marocain des produits de base, y compris le gaz butane, ne connaîtra aucun problème d’approvisionnement, ni aucune augmentation de prix durant le mois de Ramadan, selon le ministre chargé des Affaires générales et de la Gouvernance, Najib Boulif. La totalité des produits de grande consommation durant ce mois sacré est disponible sur le marché. L’offre est deux fois supérieure à la demande pour ce qui est du sucre, de l’huile de table, du beurre et du gaz butane et quatre fois supérieure pour les tomates en boîte. Pour les féculents, l’offre correspond à 100% de la demande moyenne. Par ailleurs, le gouvernement a pris des mesures strictes pour assurer le contrôle des prix et la qualité des produits. |
Les prix des épices en hausse
A deux semaines du Ramadan, les marchands d’épices se frottent déjà, eux aussi, les mains. Leurs ventes augmentent parce que ces produits d’assaisonnement sont incontournables et largement utilisés par les ménagères. Lors de ce mois sacré, leurs prix connaissent, à l’instar des légumineuses et des fruits secs, des hausses, certes, palpable, mais moins criantes que celles pratiquées à l’occasion de l’Aïd Al-Adha. «En période normale, les ménagères achètent de façon modérée des épices comme le cumin, le poivre, le paprika, le gingembre et le colorant alimentaire. Mais à l’occasion du Ramadan, elles achètent aussi la cannelle très utilisée dans la soupe «harira » et autres plats et gâteaux, ainsi que »ras al hanout » qui est un mélange d’épices. Mais ce dernier reste moins utilisé qu’en période de l’Aïd Al-Adha», informe Tariq un herboriste à Souk Jmiâa de Derb Soltane (Casablanca). Et d’ajouter que «les prix pratiqués au marché aux épices (commerce de gros) varient d’une période à l’autre. Le comportement spéculatif des grossistes est l’une des causes, sinon la principale, de la hausse des prix de ces épices. Rien n’est contrôlé. Certains d’entre eux expliquent ces hausses par la flambée du cours de ces produits sur le marché international et le niveau très élevé des droits de douane», explique-t-il. Tariq précise que le cumin beldi se vend plus cher que le cumin ordinaire: 115 DH/kg au détail, contre 75 DH/kg. Quant au poivre, il est à 80 DH le kilo et le paprika à 40 DH/kg. Le prix du gingembre est de 80DH. Idem pour le curcuma (kharkoum beldi) et la cannelle. Le poivre blanc est le plus cher de toutes les autres épices (160 DH/kg). Enfin, le safran, roi des épices, est déjà à 35 DH le gramme…