Meetings perturbés, panneaux électoraux détournés… La campagne électorale agitée pour la présidentielle du 12 décembre 2019 en Algérie, met en lumière le contexte tendu dans lequel se prépare un scrutin largement rejeté par la population.
En Algérie, le débat n’est pas «pour ou contre tel ou tel candidat?», mais plutôt «pour ou contre le scrutin?». Tous les candidats font face à la même massive hostilité de la part de la rue qui exige un changement radical du système. Depuis le début de la campagne présidentielle, le 17 novembre 2019, les cinq candidats évitent les grandes villes du Nord du pays, les plus peuplées, et annoncent souvent leurs déplacements à la dernière minute. Ce qui n’empêche pas qu’ils soient hués par des manifestants, hostiles réussissant parfois à perturber leurs meetings, malgré un fort déploiement policier permanent.
Dans la rue, les prétendants à l’élection du 12 décembre 2019, imposée par le Chef d’état-major de l’armée Gaïd Salah, sont considérés comme des sbires.
En effet, tous ont participé ou soutenu la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, contraint en avril de l’année en cours à la démission, après 20 ans passés à la tête du pays. La rue algérienne estime, en outre, que le régime en place depuis l’indépendance du pays en 1962, cherche désormais à se régénérer dans les urnes, faute d’avoir pu mettre fin à plus de neuf mois de contestation ininterrompue à travers tout le pays.
Campagne électorale à minima
Dans ce contexte de rupture totale entre le pouvoir et le peuple algérien, ces mêmes candidats tentent difficilement de convaincre de leur soutien au «Hirak» (mouvement de contestation populaire) ; et de faire croire qu’ils accéderont à ses revendications de changement du système politique et de gouvernance qui a mené le pays à la faillite. Ils peinent surtout à persuader les citoyens d’aller voter le 12 décembre, dans un pays où l’abstention, vue comme l’unique voie de contestation d’un régime figé, était forte ces dernières années. Seuls 37% des électeurs se sont déplacés lors des législatives de 2017 et 50% pour la présidentielle de 2014. Et ces chiffres sont probablement artificiellement «gonflés», estiment de nombreux observateurs.
Jusqu’ici en Algérie, les scrutins présidentiels, souvent entaché d’irrégularités, se tenaient dans l’indifférence générale de la population. En effet, la majorité des Algériens, demeurent convaincu que les résultats des urnes ont toujours été trafiqués pour servir les intérêts de la caste au pouvoir. A présent, l’indifférence a laissé la place à la contestation active contre les symboles du régime qui a longtemps dirigé d’une main de fer le pays. Face aux contestataires, se dresse un régime militaire incarné par Gaïd Salah, déterminé à aller jusqu’au bout de son stratagème qui vise à se maintenir au pouvoir advienne que pourra. Après avoir dû annuler, faute de candidats, le scrutin prévu le 4 juillet, le régime algérien n’entend désormais plus reculer, aiguillonné par la haute hiérarchie militaire dans le pays.
Gaïd Salah s’attire les foudres du Parlement européen
Et c’est contre les évidences, que le général Gaïd Salah se réjouit publiquement de «l’élan populaire» autour du scrutin, donnant foi à des marches «populaires spontanées» de soutien qui mobilisent peu ; et faisant comme s’il n’entendait pas les slogans hostiles criés lors de manifestations massives hebdomadaires, dont la dernière a eu lieu vendredi 29 novembre 2019. En face, les opposants au scrutin ne désarment pas. Partout, les affiches sont arrachées des panneaux électoraux, désormais vides ou couverts de graffitis, ornés symboliquement de portraits de figures du «Hirak» incarcérées, ou de sacs poubelles pleins suspendus.
Dans ce contexte, la crise algérienne s’est internationalisée. Jeudi 28 novembre 2019, le Parlement européen a adopté une «résolution» sur l’Algérie. En effet, les eurodéputés y ont fermement condamné les arrestations arbitraires et illégales, ainsi que la vague d’emprisonnements des manifestants qui a marqué l’actualité récente en Algérie. Ils ont également tiré la sonnette d’alarme sur la répression et les intimidations récurrentes envers les journalistes, les syndicalistes, les avocats, les étudiants et les manifestants hostiles au régime en place. Le député européen Raphael Glucksmann, a affirmé que cette motion est une résolution de solidarité avec le peuple algérien, «un coup de sifflet final à l’immense injustice que subit le peuple algérien». En réaction à la position du Parlement européen sur la situation en Algérie, le ministère algérien des Affaires étrangères s’est insurgé contre le fait que les eurodéputés «se soient arrogés, toute honte bue, un droit d’exiger du Parlement algérien de modifier des lois que nos députés ont souverainement adoptées», ajoutant que «l’Algérie condamne et rejette dans le fond et dans la forme cette immixtion flagrante dans ses affaires internes et se réserve le droit de procéder à un examen général et attentif de ses relations avec l’ensemble des institutions européennes».
Que se passerait-il si les électeurs boudent les bureaux de vote le 12 décembre 2019? L’Algérie est confrontée à cette probabilité. Les politologues estiment que l’échec de cette élection marquera le succès de la rue algérienne et l’échec du régime, incarné par le Chef d’état-major Gaïd Salah.
Mohcine Lourhzal