Le nouveau régime d’imposition des bénéfices et revenus agricoles, tel que détaillé dans le projet de loi de Finances 2014, a suscité moult réactions, voire même des cris d’orfraie.
La fiscalisation du secteur agricole prévue au titre du projet de loi de Finances 2014 a fait des mécontents au sein même de la profession. Certes, l’imposition progressive et transitoire des sociétés agricoles s’inscrit dans le cadre des hautes orientations royales, mais la définition même des grandes exploitations agricoles, qui passeront à la caisse dès l’année prochaine, reste entourée d’un manque de clarté.
Le projet de budget prévoit, entre autres, d’imposer en matière d’impôt sur les sociétés, les exploitants agricoles qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 35 millions de dirhams à compter du 1er janvier 2014 et jusqu’au 31 décembre 2015. Mohamed Boudlal Bouhdoud, membre de l’Association des producteurs d’agrumes du Maroc (ASPAM), qui s’est dit insatisfait des mesures de cessation d’exemption fiscale, garde ses distances avec la définition et la logique d’imposition. «La base imposable est-elle déterminée en fonction des superficies de terres cultivées ou en fonction des revenus réalisés?», s’interroge-t-il. D’autant plus que le rendement d’une surface de seulement 10 hectares de tomates procure des bénéfices qui pourraient dépasser les 35 millions de dirhams fixés par le texte du projet de loi, ajoute-t-il. Même constat pour le haricot ou les pommes récoltés respectivement sur une surface de 10 et 20 hectares. Bouhdoud précise que l’on parle dans ce cas-là de la moyenne et de la petite agriculture et non pas des grandes exploitations. Ce qui représente à ses yeux un décalage entre le barème d’imposition et les capacités contributives des agriculteurs. Loin d’être convaincu, il propose de relever les tranches d’imposition à 60 millions de dirhams au lieu de 35 millions, le temps pour les entreprises nationales de mieux s’adapter au nouveau contexte.
L’option du régime forfaitaire
Bouhdoud recommande même d’opter dans un premier temps pour le régime forfaitaire agricole, au lieu du régime normal d’imposition. En d’autres termes, appliquer de plein droit des taux forfaitaires suivant les groupements de produits ou les cultures pratiquées (légumes, fruits…). «Comme ça, tout le monde va participer et ne se sentira en aucun cas lésé», explique-t-il.
Exprimant un sentiment de déception, le professionnel déplore les nouvelles conditions d’imposition qui ne tiennent pas compte des spécificités de ce secteur hautement sensible tant au niveau social qu’à celui économique. Il pense aux fragilités de l’activité en lien avec les aléas climatiques et la volatilité des prix. «Avant de procéder ainsi, il aurait fallu au préalable réaliser des études de benchmarking touchant des pays ayant les mêmes spécificités agricoles et économiques que les nôtres pour bien évaluer l’impact réel sur les assujettis», prône-t-il. Et de souligner que recopier le modèle français ou espagnol serait une grave erreur. «Du fait que les exploitants agricoles de ces pays, contrairement à nous, bénéficient d’indemnités en cas d’aléas climatiques. Un agriculteur européen peut être indemnisé également dans le cas de mise au repos d’une partie de ces terres pour éviter d’éventuelles crises de surproduction», détaille-t-il.
Imposition à la hâte
A son avis, la précipitation qui a caractérisé cette décision politique pourrait nuire à la compétitivité des entreprises marocaines et risque de décourager l’investissement. Elle serait même en déphasage avec les dispositions du Plan Maroc vert. Il pense que les grands efforts d’incitation à l’investissement au titre de ce programme stratégique risquent de subir les contrecoups de la nouvelle mesure fiscale. Surtout que la mesure d’imposition a été prise d’une manière unilatérale et sans concertation, ni discussion avec la profession. «Lors des deuxièmes Assises nationales sur la fiscalité, seulement deux ou trois associations agricoles étaient présentes, mais elles ne représentaient pas forcément la profession. En plus, elles ont été invitées à titre personnel et non pas pour une participation aux travaux», se désole-t-il.
Par ailleurs, toutes ces entraves ne manqueraient pas de mettre à mal la relation de confiance entre les nouveaux contribuables et l’administration fiscale. Bouhdoud soulève à ce titre le problème de gérer la matière imposable, étant donné les difficultés de tenue de comptabilité pour ces entreprises non initiées aux enregistrements comptables. Mais pas seulement. L’obligation de l’enregistrement des opérations avec à l’appui des pièces justificatives au titre des achats et des ventes risque de compromettre la matière imposable et d’accentuer les actes de fraude et de sous-facturation. Surtout quand on sait la grandeur et le poids de l’informel par lequel est frappé l’amont agricole. Mises à part les inquiétudes liées au manque de formation comptable, le professionnel met en garde cette fois contre les impacts indirects de la nouvelle imposition sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Pour lui, la levée même progressive de l’exonération fiscale exercerait à terme une pression à la hausse sur les prix agricoles. Un nouveau coup de poing pour les capacités d’achat des ménages.
Les craintes de l’UC
Même son de cloche du côté de Chaoui Belaassal, président du groupe parlementaire de l’Union constitutionnelle (UC). Le député n’a pas caché ses craintes quant aux nouvelles dispositions fiscales frappant le secteur agricole. «Oui, nous sommes avec une imposition progressive et graduelle, mais qui ne menace pas la compétitivité de l’activité et son potentiel à l’export», avance-t-il. Il s’interroge sur les bases à l’origine du taux d’imposition des sociétés fixé à 17,5%. Il met en doute l’efficience du nouveau régime d’imposition des exploitations agricoles dans sa première mouture, allant jusqu’à remettre en question les arbitrages effectués entre l’imposition fiscale et le maintien des exonérations fiscales. La question qui se pose donc a trait à l’efficacité de la fiscalisation agricole et sa capacité de drainer de nouvelles recettes, surtout que les 31 mesures d’exonération fiscale touchant le secteur de l’agriculture et la pêche représentent un manque à gagner pour l’Etat de l’ordre de 4,1 milliards de dirhams, soit 12,2% du total des dépenses fiscales estimé à 34,1 milliards de dirhams en 2013.
Belaassal fait savoir que son parti mènera une étude pour mesurer et évaluer les effets du nouveau régime fiscal sur la dynamique des investissements et le potentiel de création d’emplois qui va avec. D’autant plus que le PIB agricole demeure le principal moteur de la croissance économique du pays. En un mot, on ne badine pas avec ce secteur, premier pourvoyeur d’emplois…
Mohamed Mounjid
Les grandes exploitations imposées En plus d’exonérer totalement et d’une manière permanente les petites et moyennes exploitations agricoles réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 5 MDH, il est proposé, à titre transitoire, d’imposer en matière d’impôt sur les sociétés les grandes exploitations agricoles comme suit: |
Réforme de la TVA Dans le cadre de la réforme de la TVA, il est prévu de soumettre pour la première fois certains matériels agricoles et le bois en grumes au taux de 10%. La levée des exonérations toucherait également les raisins secs et les figues sèches qui seraient désormais assujettis au taux de 20%. Il est proposé, à compter du 1er janvier 2014, la taxation au taux de 10% des aliments destinés à l’alimentation du bétail soumis auparavant au taux de 7%. Le sel et le riz usiné vont voir leur taxation portée à 20%, au lieu de 10%. Enfin, les graisses alimentaires et margarines, ainsi que les véhicules utilitaires seraient aussi taxés au taux de 20%, au lieu de 14%. |