Pourquoi cette brusque montée de tension entre le Qatar et trois monarchies du Golfe, dont l’Arabie Saoudite ? Focus.
Il s’agit d’une première dans l’histoire du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) fondé en 1981: l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et Bahreïn ont décidé, mercredi 5 mars, de rappeler leurs ambassadeurs au Qatar, reprochant à Doha ses ingérences dans les affaires de ses voisins.
Cette décision a été annoncée par l’agence officielle saoudienne SPA au lendemain d’une réunion «houleuse», selon la presse, des ministres des Affaires étrangères des monarchies arabes du Golfe à Riyad. «Il a été demandé au Qatar de ne soutenir aucune action de nature à menacer la sécurité et la stabilité des Etats membres», ajoute le communiqué en citant notamment les campagnes dans les médias, en allusion à Al-Jazeera.
Le communiqué souligne qu’en dépit de l’engagement de l’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, lors d’un précédent mini-sommet avec l’émir du Koweït et le roi d’Arabie à Riyad, en novembre, à respecter ces principes, son pays ne l’a pas fait.
Al-Jazeera, un outil de la diplomatie du Qatar, a toujours exaspéré par sa liberté de ton les pays de la région et, selon les experts, elle s’emploie à soutenir les islamistes, notamment en Egypte.
Ce mini-sommet, à l’initiative de l’émir du Koweït, cheikh Sabah al-Ahmad Al-Sabah, était destiné à surmonter le profond désaccord entre, d’une part, Doha et, de l’autre, Riyad, Abou Dhabi et Manama sur la conduite à suivre face au nouveau pouvoir installé par l’armée en Egypte en juillet 2013, après l’éviction du président islamiste, Mohamed Morsi.
Le Qatar s’est rangé ouvertement du côté des Frères musulmans qui ont perdu le pouvoir en Egypte, tandis que les trois autres pays ont apporté un soutien massif, tant politique que financier, au nouveau pouvoir égyptien.
«Le Qatar regrette et s’étonne (de cette décision et) ne va pas retirer ses ambassadeurs dans ces pays, a indiqué le Conseil des ministres dans un communiqué. La décision des Frères en Arabie, aux Emirats et à Bahreïn n’a aucun lien avec les intérêts des peuples du Golfe, leur sécurité et leur stabilité. (…) Elle concerne des divergences sur des questions hors des pays du Conseil de Coopération du Golfe».
Il est clair que Riyad en a assez de l’indiscipline du Qatar et souhaite mettre fin à l’ambiguïté de sa diplomatie. Les Saoudiens veulent que Doha prenne un virage clair dans sa position à l’égard de la confrérie. Car, à l’heure où l’Arabie Saoudite est soumise à un certain nombre de changements géopolitiques dans la région, elle souhaite restaurer sa suprématie en créant un mouvement d’alignement autour de son leadership qui soit soudé face à l’Iran, l’éternel rival dont l’allié américain s’est rapproché ces derniers mois. Par conséquent, Riyad souhaite se prémunir de toute velléité contestataire interne, dont la confrérie islamiste demeure l’incarnation aux yeux des monarchies du Golfe. Et pour ce faire, le jeune émir Tamim est prié de clarifier sa position sur cette question et de rentrer définitivement dans le rang. Or, on voit mal aujourd’hui le Qatar se mettre à dos l’ensemble de ses partenaires du CCG.
L’histoire des relations de Doha avec ses voisins, précisément avec Riyad, a connu des périodes bien plus critiques quand des litiges territoriaux avaient donné lieu, au début des années 1990, à des accrochages armés. L’escalade des tensions diplomatiques qui s’est matérialisée aujourd’hui par le rappel des ambassadeurs de l’Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis et du Bahreïn au Qatar correspond à un premier échelon d’une crise. Il faut comprendre que cette pression diplomatique opérée essentiellement par l’Arabie Saoudite, épaulée par les Émirats Arabes Unis, a pour but d’envoyer un message de fermeté au Qatar et de l’isoler au sein du CCG. Sans plus, pour le moment…
Patrice Zehr