Hassan, 40 ans, est directeur de banque. Il est marié et papa d’un garçon de 12 ans. Son problème, c’est qu’il ne sait plus comment s’y prendre avec son fils dont le comportement est inquiétant. Impossible de l’intéresser aux études, ni de lui imposer des règles pour qu’il puisse acquérir le sens des responsabilités et des valeurs…
«Quand je compare ma vie et celle de mon fils, j’ai l’impression que plusieurs années-lumière nous séparent. Moi, depuis mon plus jeune âge, ma plus grande peur était de susciter la colère de mes parents et de ne pas être capable de comprendre une leçon ou de ne pas résoudre un problème mathématique. J’avais peur aussi que quelqu’un de ma classe puisse avoir meilleure note que moi. Je n’avais pas le look du super doué aux binocles en fond de verre avec un cheveu sur la langue. Je n’avais pas de meilleur ami; ils l’étaient presque tous. Je m’amusais, copinais tantôt avec les bons, tantôt avec les moyens et même avec les nuls. Etre enfant de riches ou de classe moyenne, ou encore de pauvres, ça nous était égal pour étudier ou jouer. Plus tard, à d’autres niveaux, les choses se sont compliquées, évidemment…
Il y a autre chose qu’il me paraît bon de dire aussi, c’est que durant toute ma scolarité, je n’ai jamais été aidé. J’avais des parents enseignants stricts, présents mais avares en paroles, toujours occupés et pas doués pour la moindre démonstration d’affection. Ils attendaient de moi un comportement parfait et de l’excellence, spécialement dans le domaine scolaire. Un silence et une discipline de fer régnaient chez nous; j’oubliais les amis, les jeux et nos histoires.
Enfant unique, je vivais dans un monde d’adultes trop sérieux et je ne m’évadais que dans mes nombreuses lectures. J’avais créé, à l’heure des devoirs, une ambiance imaginaire de compétition. Le rituel consistait à ce que j’enfile sur mon pyjama «la combi magique». Ce vêtement n’était en fait qu’une vulgaire et horrible chemise moutarde extrêmement large qui appartenait à mon père. Je lui avais inventé des pouvoirs surnaturels. En la revêtant, je devais être pris par une sorte de décharge électrique fictive qui me pourvoyait d’intelligence surnaturelle et d’une force exceptionnelle. Dans ma tête, j’étais un héros incollable face à une espèce de machine imaginaire qui posait des questions ou qui faisait réciter des formules ou des leçons. Et j’avais tout intérêt à répondre juste, sinon j’avais inventé aussi la punition. C’est comme ça que je me coachais pour étudier. Ce jeu a été mon soutien, mon aide des années durant. Et je m’en suis sorti. Aujourd’hui, je suis désemparé: j’ai une autre hantise, celle de l’échec dans la responsabilité qui me revient dans l’éducation de mon fils.
Bien que nous soyons, sa mère et moi, constamment en alerte, soucieux de sa santé, de son équilibre et de son développement psychologique sain, suspendus à ses lèvres aussi pour le moindre de ses désirs, notre fils n’aime pas l’école et porte un intérêt majeur à des choses futiles qui ne lui serviront probablement à rien dans la vie. Mon fils, pour ma plus grande tristesse, ne relate que des histoires où il est question de ses amis et de leurs parents, de ce qu’ils possèdent, des marques de leurs véhicules, du montant de leurs revenus, des lieux de vacances, des vêtements de marque, des jeux et consoles dernier cri, de portables et tablettes. Il refuse catégoriquement notre aide, alors que ses résultats sont médiocres. Il prétend que nous n’avons aucun niveau pour ça et que les élèves excellents suivent des cours de soutien particuliers avec leurs enseignants. J’ai expliqué à mon fils que ni moi, ni sa mère ne pouvions comprendre qu’il ait besoin de cours de soutien à son âge et à son niveau d’études. Il m’a rétorqué sans cligner des yeux que s’il était mauvais élève, c’était à cause de nous; que les parents de ses amis sont si extraordinaires, beaucoup plus fortunés que nous autres et qu’il avait honte d’avoir des parents comme nous. Avec rage, il s’est emparé de tous ses vêtements et jeux et les a jetés devant moi en me disant que tout cela ne valait rien et que ses amis se moquaient de lui tout le temps parce qu’ils avaient bien mieux et que nous ne l’aimions pas assez… Je n’ai pas pu le corriger, bien qu’une paire de claques s’imposât. J’avais peur de perdre mon contrôle et de causer l’irréparable. J’ai simplement pris toutes ses petites affaires et lui ai dit que j’étais très déçu et que tout cela serait confisqué jusqu’à nouvel ordre.
J’ai réussi quand même à le faire asseoir tous les soirs à mes côtés pour ses devoirs. Je constatai avec effroi que mon fils ne faisait aucun effort pour s’appliquer, qu’il n’avait aucune curiosité par rapport à ce qu’il révisait et qu’il était le plus pénible des petits garçons. Il ne m’écoutait que d’une oreille, me faisait répéter tout ce que je lui expliquais et bougeait sans cesse ne souhaitant assurément qu’une chose, me mettre en colère jusqu’à ce que je le laisse en faire à sa guise pour qu’il puisse enfin aller sur le net jouer.
Je ne cesse de me répéter que je ne dois pas céder. J’ai peur pour son avenir et je me pose sans cesse ces questions. A qui la faute? A moi et à sa mère? Est-ce que nous n’avons pas été assez sévères et ne lui avons pas inculqué ce qu’il fallait? Ou au matérialisme flagrant de la société actuelle? Ou à certains enseignants qui n’ont plus aucune moralité? Ou à l’école qui n’assure pas son rôle…? Mais la question la plus importante est: qu’est-ce qu’il va bien pouvoir faire de sa vie, s’il n’étudie pas?».
Mariem Bennani