Au Maroc, la lutte contre la corruption est érigée en priorité. Néanmoins, force est de constater que les récentes affaires impliquant des élus, prouvent la complexité de lutter contre ce phénomène. Pour Rachid Labkar, professeur de Droit public à l’Université Chouaib Doukkali d’El Jadida, tout n’est pas cause perdue, à condition d’agir avec fermeté.
«L’hémicycle n’est pas une planque pour servir ses intérêts privés»
Nombreux sont les élus condamnés ou actuellement poursuivis, notamment dans des affaires de corruption. Qui est responsable de cette situation, les partis politiques, les électeurs?
Je considère que ce qui se passe aujourd’hui avec nos élus est le résultat direct de ce que j’appelle le mauvais casting des candidats aux élections qu’elles soient législatives, régionales ou communales. Nombreux sont les partis politiques, pour ne pas dire tous, qui n’ont qu’un seul objectif, gagner le maximum de sièges, notamment au Parlement. Tous les moyens et les coups sont permis pour accéder à l’Hémicycle.
Cette attitude est inacceptable et va à l’encontre des objectifs que s’est fixé le Maroc, sous la conduite de SM le Roi qui ne cesse d’appeler à la moralisation du champ politique. Le Message Royal adressé aux participants au Symposium commémorant le 60ème anniversaire du Parlement marocain a d’ailleurs appelé à l’élaboration et à l’adoption d’un Code de déontologie pour la Chambre des représentants et celle des conseillers. L’objectif est de sanctionner plus sévèrement les parlementaires dont l’implication dans des affaires de corruption ou d’abus de pouvoir entre autres, est avérée.
Les électeurs ont également une part de responsabilité dans la débâcle de la vie politique et parlementaire dans notre pays. Les Marocains doivent réfléchir mille fois, avant d’élire leurs représentants au Parlement ou au niveau des Conseils des Régions et des Communes. Je ne parle même pas de ceux qui vendent leurs voix pour quelques billets de banque. Je voudrais également attirer l’attention sur un autre phénomène qui biaise parfois le processus électoral. Il s’agit de la majorité silencieuse qui n’est pas satisfaite des profils présentés par les partis lors des scrutins électoraux. En s’abstenant de voter, cette majorité silencieuse permet à de mauvais profils d’accéder au Parlement et aux Conseils des Régions et Communes, à travers l’usage de l’argent lors des campagnes électorales.
Durcir la législation est-il suffisant pour faire barrage aux élus corrompus?
Des lois plus sévères permettent de moraliser la vie publique. Il faudrait interdire aux lobbyistes d’accéder au Parlement. L’hémicycle n’est pas une planque pour servir ses intérêts privés en cachette. Le Code de déontologie auquel a appelé le Souverain lors du Symposium organisé à la l’occasion du 60ème anniversaire du Parlement marocain devrait remettre de l’ordre dans cette institution dont la crédibilité est en chute libre aux yeux des citoyens.
La confiance des Marocains envers les Institutions politiques, dont le Parlement, a chuté en 2023 selon un rapport de l’Institut Marocain d’Analyses des Politiques (MIPA). La situation est-elle rattrapable selon-vous?
Cette baisse remet en question l’efficacité du paysage politique au niveau national et soulève en même temps, des préoccupations sur la perception des citoyens des responsables politiques marocains. L’étude a également révélé que plus de la moitié des Marocains ne sont pas affiliés à un parti politique, ce qui témoigne à mon sens d’un désintérêt généralisé pour la participation politique. Normal, lorsqu’on sait que les citoyens estiment n’avoir aucune communication directe avec leurs représentants en dehors des périodes de campagnes électorales. Il est nécessaire de promouvoir une participation politique active et de renforcer l’éducation civique pour bâtir un système politique plus solide et inclusif. Le Maroc a besoin de députés et d’élus qui ont soif de servir leur pays, et non pas de s’en mettre plein les poches.
Propos recueillis par Mohcine Lourhzal