Ramadan «Le jour, j’insulte et je cogne. Le soir, je drague et je ris»

ramadan table

Le Ramadan est de retour. Mois sacré ou sacré mois ? Chacun a ses habitudes durant ces 30 jours de jeûne.
Il en ressort des certitudes, par-ci, des contradictions, par-là…
Pour prendre le pouls, à la veille de ce Ramadan, Le Reporter a laissé traîner l’oreille dans Casablanca. Avis recueillis sur la nourriture abondante pendant le ramadan, l’humeur, la prière… A méditer.

Voilà… Le Ramadan 2015 est là. Les vœux fusent de partout. Ceux des proches qui pensent sincèrement ce qu’ils souhaitent ; ceux des collègues qui le font par politesse ; et ceux de tous les démunis qui vous lancent un «Mabrouk laâwacher» sans équivoque, signifiant qu’ils attendent en retour une réponse sonnante et trébuchante… Se contenter de rétorquer «Allah ibarek fik, âlina ou âlik» est hors de question, sous peine d’être foudroyé par un regard qui vous culpabilisera jusqu’à ce que vous vous sentiez obligé de mettre la main à la poche ! «Quand je n’ai pas d’argent à donner, je fais semblant de ne pas avoir entendu la personne qui m’a dit Mabrouk laâwacher et en tout cas, je ne la regarde pas ou, si je la connais, je fais un signe de la tête en souriant, pour dire ‘merci, plus tard, plus tard’ et je file tout droit», raconte Leïla, cadre dans une entreprise. «Tout le monde autour de moi attend que je lui donne quelque chose, mais je n’ai pas assez d’argent pour tous. Je fais ce que je peux. Je commence par les incontournables: mon gardien d’immeuble, mon gardien de voiture, ma femme de ménage…

Les autres, je leur donne ce qu’il me reste. Je fixe un budget pour ça, mais je le dépasse toujours, parce que je ne résiste pas aux supplications d’une femme qui traîne des enfants, d’une personne handicapée, ou d’un faible vieillard», ajoute-t-elle. «Moi, je ne donne rien à ceux que je ne connais pas», intervient son collègue de travail qui explique: «depuis que j’ai appris qu’il y avait des mendiants organisés en réseaux mafieux et d’autres qui sont millionnaires mais qui continuent de mendier, je n’ai plus confiance. Je fais l’aumône seulement à ceux dont je suis sûr qu’ils en ont besoin».

Ramadan, c’est se goinfrer la nuit…

Il est vrai que donner quelques pièces ou petits billets (quand on connaît la personne), devient quasi-automatique chez les citoyens qui en ont les moyens, pendant le mois de Ramadan. On a en effet du mal à imaginer des privations supplémentaires, pendant ce mois sacré, chez ceux qui n’ont déjà pas le strict minimum. En plus, de voir seulement ce que l’on dépense soi-même pour rendre agréable la table de rupture du jeûne et tout ce qui s’ensuit (pause thé, pause café, dîner, s’hor), on a mauvaise conscience. La petite pièce glissée à la personne nécessiteuse calme cette mauvaise conscience.
C’est que le Ramadan est devenu un mois de fête de la nourriture ! On multiplie les plats et les recettes. Sous prétexte de jeûner toute la journée, on prépare plus de mets qu’on ne peut en avaler et tout est fait dans l’excès. «Dès que le moudden annonce la fin du jeûne, on se jette sur tout ce qui s’avale. On enchaîne les repas jusqu’au lever du jour. On mange beaucoup trop, pendant le Ramadan. En plus, on se goinfre la nuit. C’est catastrophique pour notre santé !», lance Zineb, 25 ans, longiligne, qui se plaint malgré tout de quelques kilos superflus. «Avec mes amis, j’ai beau faire une marche quotidienne, je prends du poids pendant ce mois. Cette année, j’ai décidé d’éviter tout ce qui est superflu et de surveiller l’équilibre de mes repas», promet la belle brunette aux yeux clairs. Amina, elle, 35 ans, cadre dans une banque, a une autre méthode. «Moi, je mange tout ce que je veux, mais je ne fais qu’un seul repas, celui du Ftour. Chez moi, le Ftour est déjà très riche, avec poisson, nems, quiches, sans compter la Harira, bien sûr et les pâtisseries, les œufs, les dattes, etc… Je prends de tout, je bois mon café et c’est fini jusqu’au lendemain, à la même heure. Rarement, je fais une entorse à cette règle… Juste quand je suis invitée hors de chez moi». Ali sursaute. «Gros fumeur» est le surnom que lui donnent ses collègues au travail. «Quoi, pas de dîner ? Même pas de s’hor ? Et comment tenir le lendemain, si on ne prend pas le bon repas de 3h du matin, le petit café qui vous remet les idées en place et la petite cigarette dont on sera privé toute la journée?». Ses amis rient… «Ce n’est pas une petite cigarette, mais un petit paquet de cigarettes que tu consommes à 3h du matin. Tu devrais profiter du Ramadan pour cesser de fumer. Tu ne serais plus obligé de sortir toutes les 5 minutes dans le couloir, au bureau, pour t’empoisonner les poumons… Et, pendant Ramadan, tu serais de moins mauvaise humeur quand ton taux de nicotine baisse», lui lance Amina, taquine.

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Qu’est ce qui permet la mauvaise humeur ?

Chez le marchand de fruits, on parle justement d’humeur que certains ont mauvaise pendant le Ramadan. En choisissant ses melons, une dame d’âge mûr plaisante avec le marchand. «Arrête de rouspéter, lui dit-elle, je choisis les fruits que je veux. Tu ne vas pas m’embêter dès maintenant ? Le Ramadan ne commence que jeudi ou vendredi. Pendant le Ramadan, on peut accepter ta mauvaise humeur, mais pas maintenant !». Un deuxième client intervient: «Pourquoi, qu’est ce qui permet la mauvaise humeur, pendant le Ramadan ? Ceux qui jeûnent sous conditions n’ont qu’à pas jeûner, carrément ! Ce n’est pas parce qu’on jeûne qu’on doit faire supporter sa mauvaise humeur aux autres…». Piqué au vif, le marchand se lance dans un long monologue, s’arrêtant de peser les fruits. «Moi, je m’énerve facilement, avec ou sans Ramadan. C’est vrai. Mais je ne dépasse jamais les limites. Ceux qu’il faut condamner, ce sont ces malappris qui, en s’énervant pendant le Ramadan, oublient qu’ils jeûnent et débitent des insultes et des grossièretés qui, à mon avis, annulent leur jeûne. Il y en a beaucoup qui en arrivent aux mains pour un oui, pour un non. Après, ils disent avoir perdu le contrôle d’eux-mêmes, à cause du Ramadan. Mais le Ramadan n’est-il pas fait pour que l’on se sente bien soumis aux privations, sans perdre patience. Nous, ces privations, nous ne les supportons que pendant un mois et juste la journée. Les pauvres, c’est toute leur vie qu’ils les supportent. C’est ça le message du Ramadan. Il faut se priver et sentir que l’on se prive, avec humilité. Il faut manger modérément, même après la rupture du jeûne. Et il faut oublier les loisirs pour se consacrer au recueillement, durant tout le mois».
«Dépêche-toi de me peser mes fruits pour que je te paie, au lieu de nous faire des discours de moufti», le taquine encore la dame. «Tu as peut-être raison, mais rien n’empêche de bien manger le soir et de rire entre membres de la famille et amis, après le Ftour», plaide-telle, ajoutant: «mes enfants, tu les connais, ils sont grands. Ils jeûnent, mais le soir, ils sortent entre amis et vont se promener sur la corniche. Ils rencontrent d’autres jeunes. Ils ne vont pas rester avec moi et El Haj, devant la télé jusqu’au S’hor !».
Un homme d’une quarantaine d’années, silencieux jusque-là, lance tout à coup: «Ramadan ce serait alors, le jour, j’insulte et je cogne ; le soir je drague et je ris !». Tous les regards se tournent vers lui. «Ce n’est pas ce que vous disiez, insiste-t-il ? J’ai juste résumé…». Un long débat allait s’ouvrir. La dame, n’acceptant visiblement d’engager de conversation qu’avec son marchand de fruits habituel, hausse les épaules et s’éloigne.

La prière spécial Ramadan

Devant l’école, les mères attendent la sortie de leurs enfants. Elles bavardent. Impossible d’éviter le sujet de l’heure: le Ramadan. Tout y passe: le prix des épices, des amandes pour sellou et du miel pour Chabbakia… Ensuite, viennent les petites astuces pour gagner du temps et ne pas faire de corvées répétitives pendant 30 jours. «Moi, j’achète plusieurs kilos de tomate avant le Ramadan. Je les épluche, les passe au moulin à légumes et je répartis ce jus de tomates dans plusieurs boites ou plusieurs sachets que je mets dans le congélateur. Après, il me suffit de sortir chaque jour une boite», explique une mère, la tête couverte d’un foulard bleu. «Moi, je fais pareil avec les pois chiche, je les mets à tremper, je les débarrasse de leur peau et je les mets dans des sachets que j’utilise au fur et à mesure, renchérit une autre mère, coupe courte et lunettes de vue. C’est vrai que c’est beaucoup plus pratique de faire des préparations de légumes ou de plats en grande quantité, de les répartir en portions et de les mettre au congélateur pour les retrouver tout prêts plus tard. Je fais ça même avec des légumes pour la soupe. Quand je veux une soupe, je retire du congélateur mon sachet où carottes, navets, courgettes et oignons sont coupés en dés, je n’ai plus qu’à les jeter dans l’eau bouillante et à les assaisonner. Ma soupe est prête en 15 minutes». Une troisième mère approuve et tient à ajouter qu’elle emploie la même méthode avec les pizzas, les nems et les briouates de poulet. «Ça me permet d’avoir du temps pour aller à la mosquée après le Ftour pour la prière des Taraouih. Cela fait 4 ans que je vais à la mosquée tous les mois de Ramadan pour les Taraouih», lance-telle, fièrement. Mais douche froide de la dame au foulard bleu: «Pourquoi uniquement pendant le Ramadan ? Si tu fais ta prière, fais-là toute l’année, sinon, ce n’est pas valable !». La femme ainsi interpelée s’écrie, vexée: «Mais je fais ma prière toute l’année ! Les Taraouih à la mosquée, c’est la prière spécial Ramadan, parce qu’il n’y a pas de voyous dans la rue, la nuit et que tout le pays est tourné vers la piété. C’est pour ça que mon mari et moi allons à la mosquée pendant le Ramadan». «Ah, s’excuse la dame au foulard. C’est qu’il y a des gens qui ne font la prière que pendant les 30 jours du Ramadan. Après, ils arrêtent. Ça m’énerve, parce qu’en plus, eux qui ne prient jamais, vont à la mosquée tout le long du mois. Pour moi, ils font ça pour d’autres raisons que pour la prière… Juste pour se montrer, peut-être…». La jeune mère à la coupe courte s’interpose: «Allons, allons, ne médisons pas des autres, chacun a ses raisons dont Dieu seul a connaissance…». L’échange est interrompu, à temps, par la sortie des enfants.

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KB et MB

Les quartiers populaires, pendant le Ramadan


Ceux qui veulent plonger dans une vraie ambiance de Ramadan, c’est dans les quartiers populaires qu’ils la trouveront, authentique.
Ces quartiers sont déjà en effervescence depuis plusieurs jours. A Derb Soltane, l’activité est à son pic, ce week end précédant le Ramadan. La plupart des kiosques où se vendait une marchandise n’ayant pas de rapport avec le Ramadan a changé d’activité. Presque tous les kiosques offrent désormais des pâtisseries du Ramadan, des crêpes marocaines, des feuilles de briques cuites sous les yeux du client…
Ceux qui ne se sont pas convertis à la vente de nourriture, se sont fournis en ustensiles nécessaires à la cuisine ou sur la table du Ramadan. Bols, cuillères en inox ou en bois pour la soupe, tajines, fouet manuel pour les œufs… Quant aux marchands de fripes, ils ont sorti toutes leurs gandouras, leurs djellabas et autres foulards…
Les vendeurs de légumes, eux, ont trouvé la parade. Ils épluchent et découpent les légumes, avant de les mettre dans des sachets, vendus à 8 DH l’un. Un vrai bonheur pour femmes salariées qui se peuvent ainsi se permettre des tajines aux artichauts, aux petits pois, ou au «kharchouf».

Et côté prix ?


Pendant le Ramadan, c’est connu, le prix des denrées les plus utilisées pendant ce mois, augmente.
C’est le cas du persil, de la coriandre, du céleri, de la tomate, des féculents, des amandes, ou encore des dattes.
Les légumes aussi connaissent leur petite hausse…
Cette année a été excellente, sur le plan pluviométrique. La qualité des denrées s’en ressent. On le voit aux fruits et légumes qui sont sur le marché.
Mais pour ce qui est des prix, la ménagère n’a pas été ménagée. La plupart de ce qui est nécessaire à la table du Ramadan a vu son prix augmenter.
Les autorités qui veillent à la qualité des marchandises, devront être vigilantes également, côté prix. Le gouvernement qui se dit soucieux de préserver le pouvoir d’achat des citoyens -notamment ceux à revenus limités- doit être intraitable avec les intermédiaires qui gonflent les prix pour dégager des marges dont eux seuls profitent (et dont l’agriculteur ne voit pas un seul centime).

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