Une rentrée sociale bien chaude. L’opposition au gouvernement de Benkirane promet de belles empoignades. Alors que le chef de gouvernement n’arrive toujours pas à résoudre une crise de la majorité qui dure depuis le retrait de l’Istiqlal de la coalition gouvernementale, une autre crise prend forme.
La décision de l’adoption du système d’indexation des prix des produits pétroliers n’a pas fini de faire des mécontents. Les réactions se multiplient, même si elles n’ont pas toutes les mêmes mobiles. A en croire des voix syndicales et professionnelles, les jours qui viennent s’annoncent très tendus et seront très animés.
Le gouvernement s’est mis tout le monde à dos. Opposition, syndicats, fédérations et associations professionnelles ont initié des manifestations. Tous donc contre la politique du gouvernement et sa dernière décision d’augmenter les prix des hydrocarbures (la première de l’équipe Benkirane a eu lieu en 2012). Cette hausse a été placée, ce dimanche 22 septembre, sur le devant de la scène, notamment par les différentes manifestations ayant été organisées à travers le pays pour dénoncer la politique antisociale du gouvernement de Benkirane.
«Décision anticonstitutionnelle»
Pour les partis de l’opposition et les centrales syndicales, l’heure est donc à la contestation et aux manifestations dans la rue. C’est dans ce cadre que l’Union Socialiste des Forces Populaires compte organiser sa journée de protestation, le samedi 5 octobre à Rabat. Mais avant, l’USFP et l’Istiqlal tiennent, ce jeudi 26 septembre à Rabat, une réunion pour poursuivre leur coordination et préparer une réponse commune aux dernières décisions de l’Exécutif. Cette rencontre est décidée après la participation symbolique du parti de la rose au rassemblement organisé par l’Istiqlal, lequel a ouvert le bal, avec son bras syndical l’UGTM, en organisant une journée de la colère, dimanche 22 septembre à Rabat. Des milliers de personnes ont ainsi battu le pavé contre le gouvernement et sa dernière décision d’augmenter les prix des carburants, après l’entrée en vigueur, le 16 septembre, du système d’indexation partielle. «La décision d’augmenter les prix des carburants est «anticonstitutionnelle, car arrêtée de manière unilatérale par l’Exécutif. Cette décision était inutile, parce que l’équipe qui l’a prise est un gouvernement de gestion des affaires courantes», estime-t-on au Parti de l’Istiqlal, lequel appelle à des élections anticipées pour «faire face à la crise économique et sociale que connaît le pays sous le gouvernement de Benkirane».
Le fait accompli
La dernière hausse des prix des carburants fait aussi beaucoup de mécontents au sein des syndicats qui, eux, pointent du doigt le déficit en matière de concertation et de communication. «La mise en vigueur du système d’indexation est »une mesure non démocratique ». Elle est prise en dehors de toute concertation avec les professionnels concernés, dont en premier lieu ceux du secteur du transport. Elle ne manquera pas d’avoir des retombées sur le pouvoir d’achat des citoyens». Cette déclaration de Bouchaib Abdelmoughit, SG du comité de coordination nationale pour le transport et président de la mutuelle du transport, résume le ras-le-bol des syndicalistes, contre la hausse des prix des carburants après l’entrée en application, le 16 septembre, du système d’indexation partielle des prix des produits pétroliers liquides. Le syndicaliste, qui dénonce l’attitude du gouvernement, lequel met devant le fait accompli les professionnels, ajoute: «La nouvelle augmentation des prix des hydrocarbures affaiblit le secteur du transport déjà en difficulté et amplifie le risque d’une concurrence du transport illégal».
Syndicats divisés
Si certains syndicats représentant les professionnels du transport routier se sont montrés compréhensifs envers la décision de l’Exécutif d’adopter le système d’indexation partielle des prix des produits pétroliers sur les cours mondiaux, d’autres, par contre, appellent à la mobilisation. Douze organisations syndicales sont montées au créneau et ont observé une grève nationale de 72 heures. Au cours de leur dernière réunion, tenue le samedi 21 septembre, les chauffeurs des petits et grands taxis, ainsi que les professionnels du transport de tous bords, ont exprimé leur attachement à un débrayage national dès lundi 23 septembre, pour protester contre la décision d’augmenter les prix du carburant. Cette première réaction contre la hausse des prix du carburant a été annoncée par la Fédération marocaine de l’union des transporteurs routiers publics de personnes, pour défendre les intérêts des professionnels. Néanmoins, cette grève du transport routier semble avoir divisé les syndicats. D’après des sources syndicales, le débrayage de trois jours aurait connu une participation limitée. Les transporteurs n’auraient pas été nombreux à observer leur grève. Ainsi, si la grève des transporteurs routiers a paralysé le trafic dans certaines villes, dans d’autres, la participation au débrayage -initié par 12 syndicats et fédérations de transports- a été très faible, comme par exemple à Casablanca et Agadir. «En fait ce qui explique cette faible participation, c’est cette politisation des manifestations. Les syndicats ont annoncé une grève de 72 heures. Mais, certaines représentations syndicales se sont retirées. Car elles estimaient que la grève revêtait un caractère politique. Et pour cause, l’entrée en ligne des partis de l’Istiqlal et de l’USFP», expliquent des sources syndicales.
Mesures d’accompagnement contestées
Une chose est sûre. Si certaines organisations syndicales ont choisi de maintenir le dialogue avec le gouvernement, d’autres ne cachaient pas leur volonté de tenir d’autres grèves. Le mouvement protestataire est donc censé se poursuivre en tant que riposte des professionnels à la hausse des prix des carburants due à l’application du système d’indexation partielle des produits pétroliers sur les cours mondiaux, selon nos interlocuteurs. Mais pas seulement. Les syndicats contestent également les mesures d’accompagnement concernant l’application de ce système d’indexation, a-t-on souligné. Ces mesures, notons-le, prennent déjà forme avec des indemnisations devant être versées par l’Etat, par le biais de Poste Maroc, aux taximen selon la consommation du carburant et le kilométrage effectué, indique-t-on au ministère de l’Intérieur. Le gouvernement a décidé d’accorder, tous les trois mois, une subvention directe aux petits et grands taxis, dans le cadre de ces mesures d’accompagnement. Mais, nombreux sont les chauffeurs qui n’auraient pas approuvé ces mesures. Le SG du Comité national de coordination pour le Transport au Maroc, Bouchaïb Abdelmoughit, a appelé le gouvernement à ouvrir un dialogue à même de réfléchir à des alternatives qui vont satisfaire l’ensemble des professionnels. Notre interlocuteur a indiqué que la colère des professionnels a tellement augmenté que ceux-ci sont prêts à se mobiliser pour paralyser le trafic, jusqu’à ce que les responsables ouvrent le dialogue afin d’aboutir à des solutions alternatives.
«Les mesures d’accompagnement annoncés par le gouvernement ne sont pas pratiques à nos yeux. Nous estimons qu’il y aura de la pagaille. Il y aura certainement des dérapages. Car, faut-il le signaler, à elle seule, Casablanca compte 15.000 taxis. Et il est très difficile de connaître avec exactitude le nombre des taximen qui ont effectivement besoin d’indemnisation. Nous seuls, les professionnels, connaissons le nombre exact des chauffeurs de taxi ayant réellement travaillé et le nombre de ceux qui n’ont pas travaillé. Nous avons donc des solutions alternatives à même de résoudre cette question d’indemnisation. Malheureusement, on ne nous a pas consultés. Or, si un dialogue est ouvert entre les professionnels et le gouvernement, tout le monde sera d’accord avec ces propositions, aussi bien les autorités que les professionnels», explique le SG du Comité national de coordination pour le transport au Maroc. Et de hausser le ton: «Nous allons continuer à manifester jusqu’à ce qu’on trouve une solution à ce sujet. Car nous considérons que les alternatives du gouvernement ne sont pas pratiques».
Notons enfin que le secteur du transport au Maroc compte beaucoup de représentants. Pas moins de 1.000 syndicats et associations réclament la légitimité et la représentativité de la profession. Et tous, autant qu’ils sont, formulent des réclamations et demandent de s’entretenir avec les responsables. Outre les petits et grands taxis ayant exprimé leurs réserves quant à ces mesures d’accompagnement, d’autres associations et syndicats professionnels sont montés au créneau pour faire monter les enchères face à ce qu’ils qualifient d’indifférence envers leurs réclamations. C’est le cas notamment des propriétaires des camions de transport de marchandises et de ceux des élévateurs dans les ports marocains qui, eux aussi, se disent décidés à hausser le ton si rien n’est fait pour éviter les retombées négatives de la dernière hausse des prix des carburants.
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Abderrahim Chennaoui, SG de la Fédération générale du transport par routes et aux ports et président du Centre professionnel pour le développement et la sécurité du transport
«Il n’y a pas un interlocuteur fiable!»
«En tant que professionnel du transport, j’estime que le problème ne vient pas de l’application de ce système d’indexation partielle des produits pétroliers. Il vient surtout du fait que le gouvernement ne s’est pas concerté avec les professionnels concernés au sujet de la décision d’augmenter les prix des carburants. Les gens sont en colère contre Benkirane. Car déjà en 2012, quand le gouvernement avait décidé d’augmenter le prix du gasoil de 1 dirham, les professionnels ont été reçus par le chef de gouvernement, lequel leur a promis beaucoup de choses concernant la profession. De ce gouvernement, les professionnels attendaient donc une mise à niveau du secteur. Ils attendaient surtout que le gouvernement de Benkirane honore ses promesses et prenne en considération les revendications des professionnels d’un »gasoil professionnel », comme cela est d’ailleurs fait pour la pêche maritime. C’est-à-dire un gasoil à un prix compétitif. Mais rien n’a été fait à ce niveau. Maintenant, avec cette dernière hausse des prix des carburants, les professionnels du transport de marchandises et ceux du transport des voyageurs auront certainement des charges supplémentaires suite à cette hausse. Cette augmentation a un impact direct sur la comptabilité des sociétés du transport. Mais ce qui aggrave les choses, c’est que les professionnels du secteur ne pourront pas bénéficier de l’avantage de récupération d’une compensation, comme c’est le cas pour le transport urbain (bus et taxis). Pourtant, le secteur du transport, marchandises et voyageurs, est libre. On peut donc augmenter les tarifs à n’importe quel moment pour compenser cette hausse des prix des carburants, ce qui aura un impact direct sur le consommateur. Par ailleurs, je dois souligner que le problème, dans ce secteur du transport au Maroc, est qu’il y a beaucoup de fédérations, de syndicats et d’associations de transport. Et de tous ces représentants, il n’y a pas un interlocuteur fiable à même de représenter le secteur. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas une politique claire de la profession du transport à même de faire des propositions efficaces».
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Allal Dahouki, président du Syndicat national des propriétaires des camions de transport de marchandises et des propriétaires des élévateurs dans les ports marocains
«Avec cette hausse, la situation devient plus difficile»
Au Syndicat national des propriétaires des camions de transport de marchandises et des propriétaires des élévateurs dans les ports marocains, on ne décolère pas. La dernière augmentation des prix des carburants, suite à l’application du système de l’indexation partielle des produits pétroliers, ne finit pas de faire des mécontents au sein de ce syndicat.
«Chaque jour, à cause des crédits contractés auprès des banques, d’autres entreprises s’ajoutent aux PME déjà déclarées en faillite. Avec cette hausse des prix des carburants, la situation devient plus difficile. Car le secteur a déjà des difficultés à cause notamment d’une concurrence déloyale de certaines sociétés subventionnées par l’Etat, sachant que cette concurrence risque de bloquer l’activité de quelque 500 camionneurs dans le port», dénonce Allal Dahouki, président du syndicat. Il ajoutera: «Cette situation est le résultat de la politique adoptée par le ministère de tutelle qui n’a rien fait pour aider les professionnels à résoudre les problèmes du secteur». Et Dahouki d’affirmer: «Nous venons de présenter nos doléances aux responsables. Si nos revendications ne sont pas prises en compte, nous organiserons des mouvements de protestation qui pourront même bloquer l’activité au port de Casablanca». Notre interlocuteur ne manque pas de déplorer la situation qui prévaut dans le secteur depuis 2003. «Malgré les nombreuses lettres adressées au département de tutelle, l’administration a ignoré toutes les difficultés dont nous souffrons», souligne-t-il.
Allal Dahouki note que l’administration s’était engagée sur bon nombre de questions à résoudre. Il en donne un exemple. «Dans le cadre du contrat-programme que nous avons signé avec le département de tutelle, ce dernier nous avait promis qu’une gare routière allait être réalisée à Zénata. Elle devait permettre la mise à disposition d’un parking pour nos véhicules. Car nos camions stationnent à l’extérieur du port de Casablanca. Mais jusqu’à présent rien n’a été fait», rappelle-t-il, avant de revenir à la question de l’indexation.
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Abdelmoughit Bouchaïb, SG du Comité de coordination national pour le transport et président de la Mutuelle du transport
«Nous rejetons les propositions de l’Intérieur»
Les taximen rejettent catégoriquement les propositions du ministère de l’Intérieur qu’ils ont reçues il y a quelques jours. A noter que le ministère a annoncé dans un communiqué, lundi 23 septembre, avoir décidé d’accorder des compensations directes aux chauffeurs de taxi de première et deuxième catégories, à même de soulager le poids de la dernière hausse des prix des carburants sur les taximen. Le département de l’Intérieur vient en effet d’accorder une possibilité pour les professionnels du taxi de récupérer la différence de prix auprès de Barid Al Maghrib sur la base d’une déclaration trimestrielle. Mais les professionnels s’opposent aux modalités de cette aide, estimant qu’elle est très floue. «Nous rejetons les propositions de l’Intérieur. Car c’est une mesure qui va poser plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. Elle n’est pas pratique et nous pensons que ces mesures d’accompagnement pourraient même faire l’objet de dérapages», déclare au Reporter Abdelmoughit Bouchaïb, SG du Comité de coordination national pour le transport et président de la Mutuelle du transport. Il ajoute: «Certains chauffeurs ne travaillent pas tous les jours. Il y en a même qui restent une semaine sans travailler. Nous les connaissons tous et nous avons les solutions alternatives pour que ne puissent bénéficier de ces compensations que ceux qui auront réellement travaillé. Faut-il le souligner, à Casablanca, il y a 15.000 taxis, soit 30.000 chauffeurs, sachant que tous ces chauffeurs de taxi sont représentés par les syndicats. Et ce sont justement ces syndicats qui ont les solutions alternatives et sont à même de faire des propositions au sujet des modalités de récupération de ces compensations». Et le syndicaliste de conclure: «Chaque jour qui passe, pour chaque chauffeur de taxi, ce ne sont pas moins de 40 dirhams qui viennent s’ajouter aux frais quotidiens, soit 1.200 dirhams d’augmentation par mois, suite à la dernière hausse des prix des carburants. Et si on n’arrive pas à un accord avec les responsables, il est clair que les chauffeurs de taxi vont devoir augmenter leurs tarifs pour compenser cette hausse et soulager leur trésorerie. Ce qui veut dire que c’est encore le consommateur marocain qui va supporter cette augmentation».