En 2017, près de 3.000 migrants subsahariens ont été délogés des campements cachés dans les bois de la province de Nador, avant d’être reconduits dans plusieurs villes du royaume. Près de 90% de ces migrants sont tout de même revenus et s’accrochent toujours à leur rêve, celui de traverser la Méditerranée, pour rejoindre leur «Eldorado»: l’Europe. Ces migrants, rencontrés par Le Reporter le samedi 5 mai, tentent, malgré tout, de survivre sous des tentes en plastique. Reportage.
L’opération de délogement des campements des migrants sans papiers, dans l’Afra et Carrière, menée le 18 mai, au petit matin, par les autorités administratives de Nador, a conduit à l’expulsion de dizaines de migrants, selon l’AMDH. Cette 107ème évacuation en dix sept mois dans la grande forêt de la province de Nador, qui abrite des centaines de campements, ne devrait pas être la dernière. Depuis février 2015, date de l’évacuation de Gourougou, à 5 km de Mellilia, les opérations n’ont pas cessé. En effet, des opérations similaires sont systématiquement menées, pour faire évacuer les lieux squattés par les migrants subsahariens qui envisagent de tenter la traversée (de la (Méditerranée) vers Europe. Quel parcours attend ces derniers une fois expulsés de leurs campements de fortune?
Nador, interdite aux migrants
Une fois délogés et arrêtés, les migrants sont mis dans des autocars pour être refoulés dans d’autres villes du Royaume. En 2017, près de 3.000 migrants ont été envoyés dans plusieurs villes, dont notamment Tiznit, Agadir, Béni Mellal, Safi, Guelmim, Fès, Meknès, Taroudant ou encore Casablanca, ont estimé les mêmes sources. Ce qui n’empêchait pas ceux-là de revenir dans les mêmes campements. Selon l’AMDH section de Nador, ils seraient entre 3.000 et 4.000 migrants subsahariens à loger, en ce moment, sous des tentes et des toitures en plastique, dans la grande forêt située dans la province de Nador, dans l’attente de pouvoir traverser la Méditerranée. «Près de 90% des migrants expulsés vers d’autres villes réussissent à revenir à la forêt, alors que 10% concernent les nouveaux arrivants», estime-t-on à l’AMDH-Nador.
Ils sont ivoiriens, maliens, camerounais, ghanéens, sénégalais ou encore guinéens. Ils sont prêts à tout pour une vie meilleure qu’ils croient trouver en Europe. Les migrants subsahariens sont tous animés par le même désir: fuir la misère et la précarité ou encore la guerre dans leur pays. Souvent, c’est au péril de leur vie qu’ils tentent de gagner l’autre rive européenne. Leur attente peut parfois durer plusieurs mois, voire plusieurs années, dans des campements éparpillés tout au long de l’immense forêt de Nador. Même si ces migrants risquent d’être arrêtés à tout moment…
«Les migrants qui passent par Nador n’y viennent pas pour y rester. Pour eux, Nador est une ville où il est interdit de circuler. A l’exception de quelques-uns, qui ont eu leurs papiers dans d’autres villes du royaume, la plupart des migrants à Nador n’ont pas de cartes de séjour et ne peuvent pas louer de maisons dans cette ville. Beaucoup sont arrêtés dans les rues à Nador ou dans des refuges de forêt, avant d’être expulsés vers d’autres régions du pays, alors que la campagne de régularisation se poursuit. Cela n’a pas de sens», souligne Aziz Kattouf, de l’AMDH-Nador.
Une nouvelle errance…
Samedi 5 mai, Le Reporter est allé à la rencontre de ces migrants qui ont choisi de passer par le Maroc, dans leur quête de leur «Eldorado». Ils sont dispersés dans plusieurs zones de la grande forêt de la province de Nador, à savoir notamment Khmiss Akdim, Carrière, Jouteya, Boulingo, Khmiss Emmaren, Bouarek. Mais c’est dans le village de «Carrière», à une vingtaine de kilomètres de Nador, que nous avons choisi de réaliser notre reportage. Il était 12H45 quand le bus N° 7 nous y a déposés. Le lieu était quasiment vide. Pourtant, à cette heure-ci, l’animation devait battre son plein chez les commerçants du village. Les occupants des campements à «Carrière» venaient y acheter de la nourriture et s’approvisionner en eau. D’autres, venaient pour recharger la batterie de leur téléphone portable. Mais, ce jour-là, ils n’ont pas donné signe de vie. En tout cas, jusqu’à 12h45, ils étaient encore peu visibles. Nous n’allions pas tarder à croiser deux d’entre eux. Ils revenaient d’une course et se dirigeaient vers leur refuge en haut du village. Dans leur sac, de la nourriture qui leur permettrait de reprendre des forces. On les a croisés sur le bord de la route, pressant le pas, pour rejoindre leur campement dans la forêt. Ils semblaient très inquiets. Pourquoi étaient-ils pris de panique? Très vite, les deux jeunes Africains expliquaient: «Les forces de l’ordre ont mené, très tôt le matin, dès 4 heures, une opération de délogement dans le campement «Carrière» et ont arrêté plusieurs d’entre nous». L’un des deux jeunes migrants était inquiet à l’idée de se faire attraper par la police.
Ce samedi, les migrants, surtout des jeunes, mais également des femmes et des enfants, ont quitté leurs logis de fortune pour ne pas être arrêtés. Ils n’ont pas eu le temps de rassembler leurs affaires. Chacun s’est débrouillé pour trouver un endroit où se cacher, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de risque, pour eux, d’être arrêtés par les policiers. Cependant, ce même samedi, plusieurs d’entre eux allaient être arrêtés et refoulés vers d’autres villes du royaume. «Ils vont certainement se débrouiller pour revenir. Vu les régions très lointaines vers lesquelles ils seront dirigés, ils se retrouveront probablement dans une nouvelle errance, mais ils vont revenir», ont témoigné des migrants rencontrés dans le village.
Refaire l’expérience des dizaines de fois
La visite d’une journaliste ne semblait pourtant pas trop les inquiéter. Ils étaient même prêts à se confier à nous. Dans leur témoignage fort, ils ont raconté leur arrivée au Maroc et leurs difficultés au quotidien. Ces migrants ont traversé plusieurs pays au cours de leur voyage qui aurait duré deux à trois mois, avant d’arriver au Maroc, dernière étape avant de rejoindre l’eldorado européen. «Quand je me réveille le matin, je demande au bon Dieu d’avoir de quoi manger. Cela devient très difficile. Car, chaque jour, on est harcelé par la police.
Aujourd’hui, ils sont d’ailleurs venus pour nous refouler vers une autre ville du Maroc. J’ai dû courir plus de 800 mètres, pour ne pas être arrêté ce matin. C’est très fatiguant et cela devient pénible pour la plupart d’entre nous», a expliqué Hervé, un ressortissant de la Côte d’Ivoire. L’air mélancolique, le jeune Ivoirien a confié qu’il avait été refoulé plusieurs fois dans d’autres villes du pays. Mais, à chaque fois, il revenait à la forêt. Malgré toutes les difficultés, ce jeune migrant, qui a fait des études supérieures, gardait l’espoir d’atteindre son objectif: traverser la Méditerranée (le Boza). «La crise m’a chassé de mon pays. Mon seul souhait, c’est de pouvoir réussir le Boza. L’idée d’un lendemain meilleur me pousse à supporter tous les obstacles. Je n’ai plus rien à perdre. Et il est impossible d’abandonner cet espoir. S’il faut recommencer, je referai exactement la même chose», a témoigné Hervé, arrivé au Maroc depuis deux ans et demi. Hervé, qui croyait dur en son rêve, semblait fatigué.
D’autres migrants allaient rejoindre celui-ci, pour participer à la conversation. Comme Hervé, Younes, originaire de la Côte d’Ivoire a été arrêté plusieurs fois. «A chaque fois, les forces de l’ordre nous mettaient dans des autocars qui nous conduisaient à Tiznit et Agadir», racontait le jeune Younes. Mais cela ne l’a pas empêché de revenir sur le lieu des campements, à Carrière, où il loge depuis un an et demi. «J’ai beaucoup marché pour revenir ici», a-t-il précisé. Il a affirmé avoir tenté six fois de traverser la Méditerranée, sans toutefois y arriver. «Je n’hésiterai pas à refaire l’expérience, des dizaines de fois s’il le faut», a-t-il dit.
Arrivé à la forêt de «Carrière» depuis 11 mois, Yanik, un migrant guinéen, a expliqué: «Nous souhaitons simplement vivre comme des êtres humains avec l’espoir d’un futur meilleur». Ce jeune homme de 20 ans avait, lui aussi, essayé l’aventure plusieurs fois, mais ses tentatives ont avorté, a-t-il dit. «Faute de moyens financiers, je dois faire des économies, avant de tenter de nouveau de passer en Espagne», a poursuivi Yanik qui affirmait compter sur le soutien de ses proches. Avec sa sœur Meryem, il a fui son pays, la Côte d’Ivoire, à cause de la misère. «Les conditions de vie dans la forêt ne sont pas vraiment souhaitables, ici. Mais nous sommes quand même obligés de les supporter, parce qu’on est là pour traverser (la Méditerranée) vers l’Europe et pas pour autre chose», a lancé Yanik.
Contrairement aux idées reçues sur ces migrants subsahariens, beaucoup de nos interlocuteurs disaient avoir fait des études supérieures et avaient parfois une maîtrise en poche. Mohamed, ressortissant de la Guinée-Conakry, 43 ans, était enseignant dans son pays. Il a renoncé à toute idée de rester chez lui. «Tout le monde sait que, dans notre pays, il y a beaucoup de problèmes. Chez nous, il n’y a pas de sécurité. Avoir un travail, cela n’assure même pas le minimum des besoins vitaux. Avec 120 euros que j’encaissais par mois, en tant qu’instituteur, je devais faire vivre ma petite famille, ma mère et mes frères et sœurs. J’ai décidé de quitter mon pays. Car, je me suis rendu compte que cela ne servait à rien de mener un combat politique, pour faire changer les choses dans mon pays», a-t-il dit. «Nos chefs politiques passent leurs vacances en Europe et ils ne se préoccupent pas de notre avenir, ni de nos villages où il n’y a pratiquement rien», a lancé Mohamed. «Je suis déjà un sacrifié dans mon pays. Alors, si je dois encore faire un sacrifice pour pouvoir traverser la Méditerranée, ce n’est pas grave», a-t-il ajouté. Les larmes aux yeux, il a poursuivi: «Pour mes deux enfants, je vais supporter tout». Arrivé au Maroc, a-t-il dit, «j’ai d’abord commencé à travailler dans un centre d’appel à Rabat pendant un mois, puis dans un centre de formation. Avant de prendre la route vers la forêt de Nador pour tenter enfin ma chance ».
A la fatigue de son long voyage depuis son pays, s’ajoutent l’inconfort et la précarité de sa vie dans la forêt. «Ici nous menons une vie très difficile. L’eau que nous buvons est de très mauvaise qualité. On n’a pas toujours le temps de la bouillir et de la filtrer. En plus, il faut se réveiller très tôt le matin, pour éviter d’être arrêté par les policiers qui n’arrêtent pas de faire des descentes pour nous évacuer», a expliqué Mohamed. «Ce qui fait plus de mal, c’est que j’espérais tant voir ma famille me rejoindre en Europe après avoir réussi le boza (la traversée)», a-t-il dit.
L’histoire de Mohamed est semblable à celle de beaucoup d’autres migrants arrivés dans le campement «Carrière». Tenter de traverser la Méditerranée, cela nécessite beaucoup de courage. Car le passage est dangereux. Mais ces migrants subsahariens affirment qu’ils n’abandonneront jamais leur rêve.
«Il est hors de question d’abandonner et de rentrer chez nous. Cela veut dire qu’on a échoué et qu’on va décevoir ceux qu’on laisse derrière soi», a expliqué Mohamed en essuyant ses larmes. Ce Guinéen, bien que plus âgé que ses compatriotes, n’a pas un long parcours migratoire derrière lui. Il se dit, toutefois, bien déterminé à réaliser son rêve. Pourtant, la situation humanitaire devient très compliquée pour les centaines de migrants subsahariens qui vivent, en petits groupements, dans des conditions très précaires, dans les bois de Nador, ville proche de l’enclave occupée de Mellilia.
Conditions précaires…
Alors que les occupants des camps, aux conditions pénibles, sont délogés de manière systématique à «Carrière», d’autres camps se reconstituent. Chaque camp -dit «tanquilo» dans les milieux des migrants- porte un nom et peut accueillir des dizaines de personnes. Certains peuvent abriter jusqu’à 200 migrants.
A «Fadala», un camp qui abrite des ressortissants de la Côte d’Ivoire, du Mali et de la Guinée-Conakry, de nouveaux abris de fortune naissent chaque jour. «Tous les jours, il y a des départs et des arrivées. En fait, c’est au rythme des expulsions», a précisé un migrant à «Fadala». L’accès n’y était pas difficile. Rencontrée chez le commerçant du village, Nadia, 20 ans, originaire de la Côté d’Ivoire a accepté de nous y emmener, pour voir là où elle vivait avec sa petite fille, Aïcha (2 ans). Après une marche d’une vingtaine de minutes, nous étions enfin arrivés dans le camp de «Fadala», qui compte près d’une centaine de subsahariens. Ses occupants étaient, au début, sur leur garde. Mais, très vite, ils ont accepté notre présence. Pour rencontrer le chef du camp, c’était une autre histoire. «Le chef n’est pas là», nous a annoncé Nadia, arrivée au Maroc depuis huit mois. Le chef du camp est respecté par tous les autres migrants. C’est lui qui prépare, en fait, l’accueil des nouveaux arrivants.
Avant d’atteindre l’eldorado européen, ces derniers doivent faire face aux conditions de vie très précaires, dans des installations anarchiques en plastique. La situation en matière d’hygiène et de santé y est vraiment très difficile, a constaté, ce samedi 5 mai, Le Reporter. L’absence d’installations sanitaires reste l’un des points noirs de ce campement. «Nous sommes confrontés à nous-mêmes et nous vivons dans des conditions lamentables. On ne peut pas aller sous la douche. Et on ne peut pas aller chez le médecin. Plusieurs d’entre nous portent encore des traces physiques de leur voyage et ont besoin d’un suivi médical», s’est plainte Nadia qui essayait de sourire, malgré tout.
Cohabitation entre migrants et villageois
Pour Koumounou, un adolescent guinéen de 16 ans, «les gens au Maroc sont cléments et sont prêts à nous apporter leur solidarité». Il y a, a-t-il dit, une cohabitation entre migrants et villageois. «Les Africains qui se trouvent dans ce campement n’ont pas une mauvaise réputation. Nous demandons aux autorités marocaines de nous aider. Beaucoup de migrants sont malades à cause des conditions très précaires. Et l’eau qui n’est pas buvable», a souligné ce jeune migrant. Et d’ajouter: «Nous ne pouvons pas nous aventurer dans les rues de Nador, même avec une carte de séjour. Car, nous risquons d’être arrêtés et transférés vers d’autres villes, comme Tiznit ou Béni Mellal». Koumounou, qui qualifie la situation de grave, a affirmé avoir quitté son pays après la mort de sa mère dans la guerre au sud de la Guinée.
Comme des milliers d’autres migrants, Hassan, un ressortissant ivoirien (25 ans), est arrivé au Maroc après un long périple. Il dit ne pas vouloir rester longtemps au Maroc. «Nous ne demandons rien, juste un endroit où nous pouvons vivre jusqu’à notre passage en Europe», a-t-il lancé.
Le jour de notre visite, la tension était palpable dans le camp de «Fadala». «Nous avons passé un hiver très difficile. En plus, il y a les descentes des forces auxiliaires. Quand elles arrivent, elles interviennent violemment pour nous évacuer. Elles détruisent tout et fouillent nos affaires. Certains d’entre nous ne retrouvent pas leur téléphone portable. Ce matin, dès 4 heures, ils ont débarqué ici et ont arrêté cinq personnes à Fadala. Comme à chaque fois, nous avons dû abandonner nos affaires. Tous, femmes et enfants sont fatigués, car ils ont beaucoup couru dans la forêt. Plusieurs ont d’ailleurs été blessés en fuyant la police», nous a raconté Hassan. Celui-ci a ajouté que parmi les occupants de « Fadala », il y a une femme enceinte, laquelle a besoin d’un suivi médical.
Juste en face de nous, un jeune était à l’œuvre, pour faire bouillir l’eau qu’il venait d’acheter chez le commerçant du village (le bidon d’eau est à 1 DH). A côté, l’équipe en charge de la cuisine, quant à elle, préparait le repas de midi. Une vieille marmite contenant têtes et pattes de poulet, têtes de poisson, pommes de terre, carottes et épices. «Nous n’avons rien mangé depuis hier», a affirmé un des migrants. Ces derniers devaient verser leur cotisation, pour le repas qu’ils ne tarderaient pas à prendre, afin de reprendre des forces, après une nuit bien tourmentée dans le tranquilo de Fadala.
Reportage réalisé par Naîma Cherii à Carrière, dans la forêt de Nador