C’est en passant devant l’un des camions aménagés en laboratoires de transfusion sanguine, celui de Bab El Had à Rabat, que nous nous sommes retrouvés à l’intérieur, faisant un don du sang. L’occasion d’en savoir plus sur le processus de transfusion sanguine et de se heurter à un fait: les Marocains ont du mal à se séparer de leur sang… Sans jeu de mots.
Sur une petite banquette à deux places, nous faisons la rencontre d’un homme, la trentaine, le crâne dégarni. Ses lunettes lui donnent un faux-air d’intellectuel, tandis que son sourire, avec ses dents écartées, lui donnent un air niais, presque idiot.
«Je suis trop blanc»
Nous engageons la discussion pensant qu’il attendait son tour pour faire son devoir de citoyen. Que nenni! «J’accompagne ma femme. C’est elle qui fait un don», dit-il. S’il pense en faire de même? Que nenni, encore une fois! Nous insistons pour connaître les raisons de son refus catégorique. C’est alors qu’il se lance dans une explication des plus cafouilleuses. «Je suis trop blanc», dit-il tout sourire. «Enfin, je veux dire trop pâle. Si on me prend mon sang, je vais devenir encore plus pâlichon que je ne suis déjà», conclut-il dans un rire nerveux…
Gustave Flaubert n’avait sans doute pas tort quand il parlait des conditions du bonheur. Ainsi disait-il: «Etre bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux. Mais si la première vous manque, tout est perdu».
Notons que sur les 5 litres -environ- de sang dont le corps humain dispose, ce sont uniquement 420 millilitres qui sont prélevés, ce qui représente, d’après l’équipe médicale du centre de transfusion, «une phalange de nos 5 doigts». En gros, une quantité dérisoire qui, malgré tout, peut faire la différence et sauver des vies.
De la fenêtre, nous apercevons les centaines de personnes défilant, prenant des chemins différents, le pas tranquille, en cette après-midi. Rares sont ceux qui se pressent. Pourtant, aucun d’eux ne daigne lever les yeux vers ce camion imposant qui trône dans cet axe très animé par les passants. Il est installé et fait désormais partie du décor. Sur les centaines, si ce ne sont des milliers de personnes parcourant Bab El Hed chaque jour, il n’y aura qu’une infime partie de bons samaritains pour penser à ça.
Une expérience délirante
Dans le bus, une ambiance bon enfant, des gens souriants, pas du tout apeurés. La séance dure environ une dizaine de minutes. Quand ces deux jeunes de 21 et 22 ans sont montés, c’était par pur hasard. Ils n’avaient jamais pensé faire un don de sang. Mais en passant devant le camion, ils ont vu des têtes à l’intérieur. La curiosité les a poussés à monter les marches et à faire leur tout premier don de globules rouges. Amusés, ils se sont pris au jeu tout en étant conscients du geste qu’ils allaient faire: un petit don de soi pour quelqu’un qui en aura besoin pour continuer de vivre.
Après avoir fini, l’un d’entre eux ressent des vertiges, tout en restant allongé. Le personnel médical l’assiste et fait lever l’extrémité du siège pour mettre ses pieds en hauteur.
Le sourire aux lèvres et content de l’attention qu’on lui porte, il se dirige vers la sortie. Cependant, on lui indique de faire d’abord une halte dans un espace aménagé à l’arrière du camion, un espace où les donneurs se reposent quelques minutes avant de repartir.
Jus de fruits, eau minérale, madeleines et biscuits sont servis également à chaque donneur afin de retrouver des forces. Et interdiction de quitter les lieux sans avoir mangé un bout et s’être reposé une dizaine de minutes. Des attentions qui ont été très appréciées par ces deux jeunes. Tout en mangeant, ils échangent des bribes de leur expérience, en rigolant aux questions que le médecin pose au début afin de savoir si l’on est apte à faire ce don.
Ravis d’avoir pu aider grâce à cette expérience fortuite, ils demandent même quand ils pourront faire un don à nouveau. «Vous pouvez le faire jusqu’à 4 fois par an, soit tous les trois mois», répond l’homme à la blouse blanche.
Les raisons du refus
Une fois dans la rue, nous avons tenté de sonder les personnes pour avoir les raisons de leur réticence à donner du sang.
La plupart invoque le sentiment de peur lié à l’hygiène du procédé, comme cette femme accompagnée de sa petite fille. «Imaginez un instant avec moi que j’aille faire un simple don et que je me retrouve avec une infection ou le sida? C’est ça mon frein», lance-t-elle. D’autres personnes ne se sentent pas prêtes à côtoyer une aiguille. Certains encore disent ne pas être contre, mais qu’ils n’en font pas une priorité ou qu’ils oublient.
«Durant mon année de baccalauréat, j’étais allé faire un don du sang et je suis arrivé au cours en retard. Ma prof de sciences naturelles était très sévère et ne permettait aucun retard», se souvient Hamza, un étudiant en master. «Quand je lui ai donné le motif de mon retard, elle était tellement contente de mon geste qu’elle a encouragé toute la classe à prendre exemple sur moi. Elle m’avait même dispensé de cours ce jour-là pour que je puisse me reposer», dit-il goguenard. Depuis, il a sa carte de donneur et accomplit ce qu’il appelle son «devoir» de solidarité, ponctuellement.
Il faut dire que, pour ceux qui appréhendent les conditions sanitaires, se demandant si l’aiguille est changée à chaque prise de sang , si le matériel est désinfecté et s’il n’y a rien à craindre, la réponse est la suivante: oui, rien à craindre, tout est en règle. «L’hygiène y est, les professionnels y sont, ils connaissent leur boulot. En plus, ceux qui en doutent, qu’ils aillent vérifier. S’ils n’y vont pas, comment peuvent-ils savoir?», rouspète Hamza. «J’ai sensibilisé tous mes amis à cette action. Ils avaient tous peur au début, mais quand ils y sont allés, ils ont vu de leurs propres yeux que tout était en règle».
Malgré un afflux conséquent de donneurs à chaque campagne d’appel à don de sang, les stocks ne suffisent pas.
La pénurie constante des stocks de sang dans les hôpitaux est une réalité, un constat de tous les jours.
Les accidents graves de voitures sont légion sur nos routes, les opérations chirurgicales nécessitant des poches de sang existent, des personnes ayant besoin de faire des dialyses chaque semaine ont besoin de sang pour continuer de vivre.
Il suffirait d’un engagement sérieux des donneurs, un élan de générosité, tous les trois mois, pour changer les choses.
Comme dirait le proverbe berbère: «Si tu as de nombreuses richesses, donne de ton bien, si tu possèdes peu, donne de ton cœur» et pourquoi ne pas donner de son sang?
Yasmine Saih