A peine ont-ils appris à marcher sans tomber qu’ils sont déjà livrés à la rue pour y mendier. Innocents et naïfs, ils n’ont pas conscience de se faire manipuler par des adultes sans scrupules. Les enfants de la rue, exploités, marginalisés, n’ont pas le droit de rêver, l’insouciance ne leur est pas permise.
Un doux soleil aux reflets cuivrés vient réchauffer les teints glacés de cet après-midi de février. Des clients viennent exposer le peu de peau qu’ils laissent échapper de leur gros pull d’hiver sur des terrasses de cafés. Emmitouflés dans leurs manteaux, ils ne ressentent presque plus ce froid qui, par contre, ronge le petit Youssef jusqu’aux os. L’année dernière encore, il n’était pas plus haut que trois pommes. C’est un petit bonhomme aux yeux verts, des yeux si beaux et pourtant trahissant la tristesse d’une enfance volée. Sa peau dorée et ses cheveux légèrement bouclés lui confèrent un charme métis irrésistible. On pouvait le retrouver jouant avec les chats du «campus» de Madinat Al Irfane à Rabat. Sa profession: vendeur de mouchoirs en papier.
L’avant et l’après
Youssef devait avoir 6 ans l’année dernière. Il n’était pas bavard. Il répétait les mêmes phrases dès que l’on commençait à lui poser trop de questions. «J’aide mes parents quand je sors de l’école», disait-il. Il insistait sur le fait qu’il allait bien à l’école. Dès qu’on lui demandait où se trouvait son école, balbutiant, il pointait du doigt un endroit au hasard: «C’est par là». On pouvait le retrouver durant les horaires de cours, toujours au même endroit, au «campus». De rares étudiants lui achetaient de quoi manger, il faisait mine de manger, mais n’osait même pas. Il craignait manifestement quelqu’un qui l’observait de loin. Un jour, il a disparu. Un an après, en cet après-midi, il a refait surface à l’Agdal. Il a grandi certes, cependant, sa silhouette est frêle. Son regard reste inchangé. Toujours la même lueur dans les yeux et la même tristesse. S’il vendait avant des mouchoirs en papier, à présent il fait la manche. Son poignet est cassé. Il n’a qu’un léger bandage pour le maintenir. Il ne parlera pas cette fois. Il ne fera que tendre la main et ne s’attardera pas.
Tout comme Youssef, un autre enfant, blondinet lui, qui vendait des mouchoirs en papier il y a quelques années. Il n’avait même pas conscience de la valeur de l’argent à l’époque tellement il était petit. Il devait seulement écouler la marchandise à n’importe quel prix. Il avait arrêté ces deux copines qui n’avaient pas besoin de mouchoirs. Mais son sourire angélique et sincère avait fait fondre leur cœur. Prises de compassion pour cet enfant, elles en avaient acheté malgré elles. Parlant entre elles en français de ce qu’elles pouvaient faire pour le garçon, il les a surprises en leur répondant dans un français parfait qu’il avait tout compris et les a remerciées. Il n’avait pas l’air d’un enfant de la rue. Il était habillé correctement et était propre sur lui.
Depuis, lui aussi a bien grandi. On peut le voir prendre le train en cachette avec un groupe d’amis. Il adopte désormais une coupe de cheveux de footballeurs, entre celle de Justin Bieber et celle d’un Punk; une mèche blonde sur le côté et le tour de tête rasé. Des boots en cuir, des chaînes et un piercing dans les oreilles sont son nouvel attirail. Il traîne avec des ados maniérés adoptant le même style vestimentaire. Ils doivent avoir 18 ans et tiennent tous une cigarette à la main. Lui n’est qu’un gamin qui fait plus vieux que son âge, parmi eux. Il se cherche et cherche sa place.
Pour maman…
Exploités par leurs propres parents ou de tierces personnes, les enfants de la rue se voient obligés de rapporter un quota précis d’argent par jour, s’ils veulent manger et «être protégés» par ces adultes mal intentionnés.
«Va! Va! Accroche toi à elle, ne la lâche pas!», crie une femme n’ayant même pas la trentaine. Assise tranquillement sur un banc, elle essaie de s’introduire et se confondre parmi les autres parents venus avec leurs enfants dans cette cour où ils se retrouvent à 18h. La fillette s’exécute. Elle se colle à la femme, la tient par la jambe. C’est à peine si la petite sait parler. «Donne-moi, s’il te plaît… A Maman… Ce que tu veux… Que Dieu te donne tout ce que tu souhaites, s’il te plaît». Après de longs pas, la femme, se sentant harcelée, se décide enfin à sortir son porte-monnaie et lui donne quelques pièces pour avoir la paix. Aussitôt, la petite, haletante, s’en va livrer la récolte de son «forcing» à sa prétendue mère. Espérant un signe d’affection, d’encouragement, la fillette regarde la femme devant elle sans mot dire. Elle se fera pousser violemment par cette dernière vers une autre «cible». Pas de place pour les sentiments!
Histoire semblable, quelques rues plus loin. Une autre fillette, celle-ci âgée d’une dizaine d’années, travaille pour sa mère handicapée. Les cheveux en bataille, vêtue d’une jupe et d’un gros pull, elle arpente les rues, cherchant de quoi manger ou encore de l’argent à apporter à sa mère. Elle porte de grosses lunettes. Elle a l’air de souffrir d’un strabisme. Depuis peu, la fillette et sa mère ont élu domicile devant une rangée d’échoppes comprenant notamment une boucherie et une épicerie. La mère, impuissante, est assise dos contre le tronc d’un arbre, son fauteuil roulant à côté d’elle, tandis que la fillette, d’humeur joviale, danse ou joue dans le périmètre. Quand elle voit passer quelqu’un, elle court lui demander quelque chose à manger. L’après-midi, elle ne demande généralement pas d’argent, mais des biscuits ou des jus au lait. «Un biscuit chez l’épicier, s’il te plaît», demande-t-elle à une jeune fille qui passait par-là. Elle la supplie de lui offrir un petit bracelet en perles colorées. Ce qu’elle fit. «Comment dire non à un enfant? Et comment dire non à un enfant dans le besoin?», s’exclame la jeune fille. «Dès que je peux, je lui offre des bonbons et des biscuits. Ça fait plaisir aux enfants», ajoute-t-elle.
Des enfants touchants comme ceux-là, il en existe partout au Maroc et dans le monde entier. En 2013 -dernières données sur le sujet- le Haut-Commissariat au Plan avait réalisé une enquête nationale portant sur l’emploi et qui s’est penchée également sur le travail des enfants. Il ressort de cette étude faite sur un échantillon de 60 mille ménages qu’ils seraient 86.000 enfants, dont l’âge se situe entre les 7 et 15 ans, à travailler. Les enfants issus des milieux ruraux seraient les plus nombreux et les plus exposés au travail précoce. L’ONG Humanium évalue quant à elle à 7,57/10 le niveau de concrétisation des droits de l’enfant au Maroc. L’UNICEF estime qu’un enfant sur six dans le Monde est un enfant qui travaille.
Or, si ces chiffres témoignent déjà d’une réalité condamnable, tant il est inadmissible que des enfants travaillent au lieu d’être à l’école, rien ne dit qu’ils prennent en compte ces enfants des rues dont la situation est pire. On ne peut même pas dire qu’ils aient un travail à proprement parler! Mais à part quelques associations et de rares âmes charitables, qui s’en soucie vraiment?
Yasmine Saïh
Un article plein d’émotion, nous attendons la suite impatiemment , en espérant que la situation s’améliore. Cordialement