Il y a quelques décennies, au Maroc, on pouvait n’être «rien» et devenir «quelqu’un». L’école et l’emploi le permettaient. Chaque citoyen pouvait rêver d’une ascension sociale.
Aujourd’hui, tous les rapports pointent la panne de l’ascenseur social et ses dangereuses conséquences…
Quelle prise de conscience ? Quelles perspectives ?
Dossier.
Qu’est ce qui donne du goût à la vie ? Un mot, un seul: l’espoir.
L’espoir d’avancer, d’améliorer son quotidien, de réaliser ses rêves… Comme dit la sagesse populaire: «quand vous savez que vous courez après quelque chose, vous courez !».
L’espoir est le moteur qui décuple les forces, qui fait faire des choses inouïes…
Aux Etats Unis, la formule consacrée est «The only limit is the sky» (le ciel est la seule limite). Et l’on ne compte plus les belles histoires où des personnes, parties de zéro mais s’étant lancées à l’assaut de la gloire, en ont atteint les plus hauts sommets.
En Europe, c’est bien cet espoir-là qui attire les migrants par centaines de milliers. Convaincus que, «là-bas» le conte de fée est possible, ils tentent tout pour y accéder, même au péril de leur vie.
Chez nous, la recette était simple. Tous les parents en rebattaient les oreilles de leurs enfants: «Kra bach telka khadma, kra bach tawssal» (il faut étudier pour trouver un emploi, il faut étudier pour arriver).
Mais ça, c’était avant…
Au fil des années, l’école et l’emploi ont perdu leur fonction essentielle qui était de permettre une ascension sociale, de permettre de changer de condition, ou seulement d’assurer son avenir.
Aujourd’hui, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle.
La bonne nouvelle, c’est que le Maroc prend conscience des dégâts de la longue panne de l’ascenseur social. Si une minorité de riches continue de s’enrichir, la grande majorité de la population s’appauvrit et la classe moyenne, censée atténuer les disparités entre les très riches et les très pauvres, est elle-même de jour en jour écrasée, rejoignant à grands pas le contingent des «pauvres qui s’appauvrissent»…
Pire que cela: il n’y a plus de confiance de la population dans une possibilité de sortie de crise. D’où les actes désespérés de grandes contestations sociales, de boycotts vengeurs, de haine déversée sur les réseaux sociaux, ou d’émigration clandestine vers un Occident que l’on croit encore être l’Eldorado salvateur…
Le constat ne fait plus l’objet du moindre doute. Tous les rapports, nationaux et internationaux s’entendent sur cette panne de l’ascenseur social et ses dangereuses conséquences (le rapport du CESE, cette semaine, ainsi que le séminaire de la Trésorerie générale sur les Finances publiques et la justice sociale. Mais avant, les rapports de Bank Al-Maghrib, de la Cour des comptes, du Haut-Commissariat au Plan, des institutions financières internationales, des agences de notations, etc).
Sous l’impulsion de SM Mohammed VI, qui a résolument placé la rentrée de cette année sous le signe du social (Discours royaux de la Fête du Trône et du 20 août, cérémonie de présentation du bilan d’étape concernant le système éducatif, cérémonie de présentation de la phase 3 de l’INDH), la mobilisation gagne les différents centres décisionnels politiques, administratifs et économiques…
Mais, la mauvaise nouvelle, c’est que les problèmes sont trop grands et installés depuis trop longtemps… Et qu’il faut donc beaucoup, beaucoup, de sérieux, de mobilisation, de moyens et de temps, pour remonter la pente. Car, même avec la plus grande volonté politique, la relance de l’ascenseur social ne se fera pas du jour au lendemain.
Pour ressusciter l’espoir, le rêve et la confiance dans le pays, les rapports le disent: c’est à tous les chantiers à la fois qu’il faut s’attaquer. Car tous les chantiers ont un lien avec les inégalités et la justice sociale: l’éducation, la santé, l’habitat, au niveau social ; les situations de rente, privilèges, pratiques anti-concurrentielles, au niveau économique ; la gouvernance, la reddition des comptes, au niveau politique…
On le voit, ce n’est pas une affaire de baguette magique.
Mais, cela aussi les rapports le disent, il faut s’y atteler au plus vite, car plus on tarde, plus la tâche sera difficile.
B. Amrani