Révolte d’un handicapé!

Othmane est né handicapé. Il a 34 ans. Il est malheureux et se révolte. Il se sent victime de ségrégation, lui, comme toutes les personnes dans sa condition. Il se pose la question de savoir pourquoi encore aujourd’hui rien ne se fait pour l’intégration des personnes handicapées au Maroc.

«Je suis handicapé et je souffre. Ma souffrante physique n’est rien à côté de ma souffrance morale. Je suis adulte maintenant et je me rends compte que grandir n’est pas une bonne chose. J’aurais préféré rester petit. Dans ce monde d’adultes bien portants, je n’ai pas ma place. Je suis issu d’une famille normale. Mon père était chaouch dans une administration de la place et ma mère est femme au foyer. Je suis le dernier né d’une famille de 5 enfants. Mon père nous a élevés de façon stricte en semant dans nos tripes la rage d’étudier.

Notre «passeport» dans la vie, disait-il, et il n’avait pas tort. Tous mes grands frères et sœurs sont aujourd’hui de grands diplômés chercheurs. Grâce à leurs études et l’excellence de leurs profils, ils ont pu accéder à des postes dans d’éminents centres de recherches étrangers. Ce sont eux qui nous prennent en charge aujourd’hui. Grâce à eux, nous avons une belle maison avec jardin et mes parents sont même allés à la Mecque en pèlerinage. Ce sont eux aussi qui me prennent en charge pour tout. Grâce à eux, je suis correctement suivi médicalement. Moi aussi, mes parents se sont battus pour que j’aille à l’école, mais cela a été vraiment très difficile. Personne ne voulait de moi. J’étais très petit, mais je n’ai jamais rien oublié. Je revois encore cette désolation dans les yeux de ma mère quand, après maintes négociations et interventions, les refus étaient catégoriques et sans appel. Elle pleurait tout le temps en racontant à mon père toutes les péripéties qu’on lui faisait endurer et les solutions tout à fait bidon proposées sournoisement dans le but de lui soutirer de l’argent. Tous les deux étaient trop souvent meurtris dans leur amour propre et abattus. Ils essayaient de faire semblant d’être optimistes pour m’épargner d’avoir du ressentiment. Je les voyais tout le temps invoquer la justice divine pour qu’elle vienne les réconforter et leur porter secours et surtout qu’elle me vienne en aide dans la vie.

Pour ne jamais voir cette tristesse dans leurs yeux, j’avais juré en mon fors intérieur que je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour qu’un jour, ils soient fiers de moi. Tout comme mes autres frères et sœur, j’ai toujours été excellent. Je poursuivais mes études à la maison et, d’ailleurs, j’ai même passé le bac en candidat libre. J’avais d’éminents professeurs à domicile: mes frères. J’ai entamé des études supérieures en langues et j’ai été loin. Mais hélas, mon drame était que je n’ai jamais pu quitter le domicile et mes parents à cause de mon incapacité physique. Pour chaque déplacement, il fallait que ma mère m’aide et c’était un cauchemar. Aucun moyen de locomotion collectif ne m’a jamais porté secours lors de mes déplacements, sauf les grands taxis. Heureusement que, pour les questions financières, mes frères m’ont toujours dépanné. Et je ne m’aventurais jamais hors de la ville. J’ai pu grâce à Internet trouver du travail en free-lance. Mais cela reste vraiment insuffisant.

Ce qui me met dans des états de colère noire contre notre société, c’est cette terrible hypocrisie qui est greffée dans notre âme, nous Marocains. Je ne suis pas le seul dans le pays à être handicapé. Nous sommes, selon les statistiques, près de 6% de la population et si notre Roi Mohammed VI, que Dieu le glorifie, n’avait pas fait bouger les choses en notre faveur, nous serions restés des pestiférés inexistants. Je voudrais qu’on m’explique pourquoi, par exemple, tous ces architectes, ingénieurs et politiciens ne se soucient toujours pas de nous. Nous n’avons pas la chance de bouger ni de travailler comme les autres, l’accès étant un des problèmes majeur. Ces gens nous rejettent d’emblée, nous et les vieux. Ils font comme si tout le monde était capable de se déplacer sur des trottoirs crevassés. Et quand ils sont refaits, les trottoirs, il faut pouvoir les grimper: ils sont hauts d’un mètre, squattés généralement par les terrasses de cafés. On se demande ce que font les contrôles des municipalités. Et les passages piétons, il n’est pas rare de constater que, dans une longue et large avenue, ils sont à deux kilomètres ou trois d’intervalle les uns des autres. On se croirait dans un monde conçu pour les voitures. Et quand par miracle les textes de lois sont appliqués, par exemple, dans les nouvelles constructions et que des pentes sont prévues pour nous, il faudrait être fou pour les essayer. Elles sont sournoisement en pic, complétement suicidaires. Sans parler des garages qui sont à filmer pour des documentaires. Quant aux transports en commun, eux, ils nous sont complètement interdits. Comment ne pas être outragé qu’une gare, comme celle de Rabat-ville, qui a mis du temps à être réaménagée, soit pourvue d’escaliers interminables? N’a-t-on pas pensé aux gens qui ne peuvent marcher? Comment faire quand on est vieux ou malade? Nous avons des porte-paroles, les associations, et elles bourgeonnent et reçoivent beaucoup d’aides. Comment des choses comme ça passent-elles inaperçues? On se demande à quoi servent-elles? Pourquoi autant d’injustices à notre égard? Mais de ça, personne ne parle! Qu’est-ce que je dois faire? Je ne sais pas… Il y aura peut-être des progrès, mais ils ne sont pas pour moi. Pour les handicapés de la génération suivante, peut-être»…

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