Voilà un roman historique qui, bien que rigoureusement documenté, n’en est pas moins un écrit où l’on ressent la fluidité du style et la poésie des mots. Mouna Hachim nous propose, dans cet ouvrage, de suivre les pas de Mohamed Ben Toumert, figure aussi charismatique que redoutable de la secte almohade. Un récit palpitant à dimension politique, à portée spirituelle et profondément humain.
L’empire des Almoravides voilés, qui couvrait les deux rives du détroit de Gibraltar avec Marrakech pour capitale, vacillait dans la première moitié du XIIe siècle sous le coup de la secte almohade dirigée par un prédicateur fanatisé et non moins redoutable penseur.
Son nom : Mohamed Ben Toumert.
Son titre: le Mahdi bien guidé, restaurateur de la foi au sommet de la montagne escarpée, véridique dans ses dires, unique en son temps.
C’est lui qu’annonce la conjonction des étoiles.
Lui, l’homme au dirham carré.
Lui qui fit résonner le tambour de la guerre…
Érudit et épique, ce roman historique fondé sur des événements et des personnages réels, suscite des interrogations contemporaines portant sur les ravages du dogmatisme en contextualisant le drame d’une foi défigurée par l’extrémisme.
Alors que certains personnages sont mus par la haine et la soif de pouvoir enrobée de considérations morales, d’autres tentent juste d’aimer et de survivre au milieu de la folie des hommes.
Dans cette fresque médiévale tantôt politique, intime ou spirituelle, dans ce tourbillon qui nous mène de Marrakech à Tinmel en passant par Zagora, les femmes, aussi présentes, jouent un rôle inattendu et bouleversant.
Extraits
«Depuis qu’il avait reçu l’ordre de quitter Marrakech, Ben Toumert s’était réfugié dans un cimetière hors de la ville. Outre la tranquillité recherchée, le spectacle de la mort devait renforcer, auprès des foules, les convictions sur les illusions d’une chimérique vie et lui ouvrir les apparences d’une voie de sagesse infinie.
Là, au milieu des tombeaux, il avait bâti une hutte où quelques curieux venaient le voir et entendre ses leçons, augmentant ses auditeurs en un temps impressionnant ; et, de là, le nombre de prosélytes disposés, en missionnaires dévoués, à propager sa parole, à lui jurer soumission absolue et à le soutenir, tel un bataillon sacré, les armes à la main. Dans un contexte d’inégalité foudroyante entre les élites et le petit peuple, de favoritisme tribal, de juridisme stérile, de voracité des gouverneurs des provinces et des fonctionnaires de cour, le terreau était assez fertile pour semer les germes de la révolte politique, enrobée de considérations morales». (Pages 34 et 35)
«Mimouna jeta un regard par la fenêtre. Une muraille renforcée de tours carrées fermait la vallée. Mais là où il y avait la terreur, il y avait aussi la vie. Le soleil coulait à flots.
En quelconque lieu où la géographie le permettait, des hameaux étaient blottis au creux de vals verdoyants. Certaines maisons solitaires, en pisé couleur de terre, semblaient suspendues acrobatiquement aux aspérités des contreforts au-dessus de la vallée.
La moindre parcelle de terrain était plantée en terrasses, sur des pentes domestiquées, arrosée de rigoles et de canaux donnant à la campagne l’allure d’un paradisiaque verger. Et si ce n’était le tragique de sa situation, elle aurait assimilé ce lieu bucolique à un havre riant de sérénité avec ses cours d’eau, ses amandiers et ses oliviers entrecroisant leurs ombrages ; et toutes ces chèvres qui sautaient de rocher en rocher, défiant les lois de la pesanteur, en galopant et escaladant les flancs déchirés des coteaux». (Pages 150 et 151).
Ben Toumert ou les derniers jours des Voilés – Mouna Hachim – Editions La Croisée des Chemins, 2021 – 232 Pages / Prix: 100 DH.