Quel rôle pour l’Europe dans le développement des pays de l’Atlantique? Quelle est la position de l’Espagne dans le dossier du Sahara? Quels sont les lobbies qui veulent empêcher le retour du Maroc à l’Union Africaine (UA)? Que pense l’Espagne du projet de gazoduc signé entre le Maroc et le Nigeria? L’Espagne est-elle toujours aussi réticente au sujet des exportations agricoles du Maroc vers l’UE? Pourquoi le Maroc est-il si sollicité par l’Espagne en matière de lutte contre le terrorisme? Dans l’entretien qui suit, Miguel Angel Moratinos, expert international et ex-ministre espagnol des Affaires étrangères, qui participait à Marrakech au Sommet «Atlantic Dialogues», répond à toutes ces questions.
La 5ème édition du forum «Atlantic Dialogues», dont Marrakech a abrité les travaux, a été l’occasion d’identifier les potentialités de développement des pays se trouvant sur les côtes atlantiques. L’Europe y a-t-elle un rôle à jouer ?
Le développement des pays de l’Atlantique revêt aujourd’hui un caractère nécessaire. L’Europe a, bien-entendu, un rôle à jouer dans ce développement et doit y contribuer. Les rapports entre les continents africain et européen ont traversé des moments difficiles qu’il faut absolument dépasser. Il est temps que l’Afrique et l’Europe mettent en place des politiques de complémentarité, avec une approche différente, faite de partage, de respect mutuel et de renforcement des principes d’égalité entre les populations dites développées et celles en voie de développement. Il faut que l’Europe et l’Afrique commencent une nouvelle étape, un nouveau chapitre, dans leurs relations mutuelles. Il faut se rendre à l’évidence et avouer que le continent du futur et du présent, c’est l’Afrique, en termes de dynamisme économique et de développement à tous les niveaux.
Comment le Maroc et l’Espagne peuvent-ils contribuer à cette nouvelle conception des relations entre l’Europe et l’Afrique?
Je crois que le Maroc a un rôle très important à jouer, en tant que pays qui fédère les compétences du continent africain. D’ailleurs, le Roi Mohammed VI a très vite compris le rôle que peut jouer l’Afrique dans le développement de la région et des pays de l’Atlantique. Le Roi du Maroc est engagé dans une diplomatie active en direction de l’Afrique subsaharienne. Ceci montre clairement la vision stratégique du Royaume du Maroc à ce niveau. L’Espagne devrait intercepter ce message clair et œuvrer aux côtés du Maroc pour le développement du continent africain qui se répercutera positivement sur le continent européen. Je pense que le Maroc et l’Espagne œuvreront ensemble pour l’élaboration d’une feuille de route conjointe en faveur du développement des deux pays et, par ricochet, des deux continents africain et européen.
Le Maroc est décidé à réintégrer l’Union Africaine (UA). Cependant, certains lobbies tentent d’empêcher le retour du Maroc dans sa famille africaine. Quel est votre avis d’expert en relations internationales sur ce qui bloque ce retour ?
Les pays réticents au retour du Maroc à l’UA sont otages de conflits anciens. Cependant, je crois que les développements géopolitiques et le changement des mentalités aideront à dépasser ces blocages. Je crois que les pays qui veulent empêcher le retour du Maroc au sein de l’UA devraient songer à œuvrer pour l’éradication de certains maux qui menacent l’avenir de leurs pays, comme la faim, l’analphabétisme et l’insécurité. Je tiens à souligner que le nouveau secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Antonio Guterres, place l’Afrique au cœur de ses préoccupations à venir.
En évoquant le développement de l’Afrique, comment voyez-vous le méga projet de gazoduc signé entre le Maroc et le Nigeria?
C’est une très bonne nouvelle qui permettra à différentes populations de bénéficier de cette ressource énergétique qu’est le gaz. Je me souviens que, lorsque j’étais directeur général de la politique extérieure de l’Espagne pour l’Afrique et le Moyen-Orient, il était question de construire un gazoduc du Maghreb qui devait partir de l’Algérie, en passant par le Maroc, avant d’arriver en Espagne. Il y a eu beaucoup de discussions au sujet de la rentabilité de ce projet. Ma vision politique à l’époque était en faveur de ce projet qui allait, à mon sens, unir l’Algérie, le Maroc et l’Espagne. Le nouveau projet de gazoduc signé entre le Maroc et le Nigeria est beaucoup plus intéressant, dans le sens où il s’inscrit dans la dynamique de diversification des ressources énergétiques de l’Afrique. Il faut retrouver une nouvelle AME (Afrique, Méditerranée, Europe) de développement.
Le dossier du Sahara peine à être définitivement résolu. Pensez-vous qu’il le sera dans un avenir proche?
Je suis optimisme et prédis une résolution très proche de ce dossier. Connaissant personnellement le nouveau Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, je peux vous assurer que c’est quelqu’un qui a beaucoup d’expérience politique, avec une grande capacité de dialogue et surtout qui privilégie les compromis politiques. Même si certains estiment que la résolution du dossier du Sahara est difficile, je reste pour ma part très optimiste quant à une issue favorable du dossier du Sahara. Antonio Guterres traitera le dossier du Sahara avec beaucoup de sagesse.
L’Espagne est réticente au sujet des exportations agricoles du Maroc vers l’Union européenne. Pourquoi?
Cette réticence fait partie de l’histoire ancienne. Maintenant, les relations entre le Maroc et l’Espagne se consolident de plus en plus. J’ai visité le Maroc pour la première fois en 1984. Depuis cette date, les relations entre les deux pays vont de mieux en mieux. Je me souviens qu’à l’époque, feu Larbi Messari me disait qu’il faut absolument «dé-sardiniser» les relations entre le Maroc et l’Espagne, c’est-à-dire qu’elles ne soient plus liées uniquement au volet des accords de pêche. Aujourd’hui, dans un monde intégré qui place les relations entre le Sud et le Nord sur de nouveaux rails, il y a de la place pour tous. Il suffit de négocier et de trouver les meilleurs équilibres économiques entre les pays. Dans le domaine de l’agriculture, l’Espagne et le Maroc connaissent actuellement une coopération satisfaisante, à renforcer dans les mois et les années à venir.
Le Maroc est sollicité par l’Espagne et l’Europe dans le domaine sécuritaire. Quelle évaluation faites-vous du rôle que joue le Maroc dans la lutte contre le terrorisme au profit de ses alliés stratégiques, dont l’Espagne?
Le Maroc est pour l’Espagne un pays clé en matière de lutte contre le terrorisme. C’est grâce aux services de renseignements marocains que l’Espagne est parvenue à élucider les attentats du 11 mars 2004 à Madrid. C’est aussi grâce à l’aide précieuse du Maroc que l’Espagne a réussi à donner une réponse aux menaces terroristes dont elle fait l’objet. Enfin, le Maroc a une capacité de connaissance et de suivi très élevée des réseaux djihadistes, ce qui profite à l’Espagne.
Entretien réalisé par Mohcine Lourhzal