C’est officiel, depuis le 10 mai dernier, date de la visite qu’a rendue le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Saâd-eddine El Othmani, au Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, au siège des Nations unies, à New York: le Maroc, préoccupé par la tournure que prend la médiation de Christopher Ross dans le conflit du Sahara, a décidé de réagir.
Selon les déclarations qu’il a faites à la MAP, au sortir de cette rencontre avec Ban Ki-Moon, Saâd-eddine El Othmani a expliqué avoir exposé au Secrétaire général de l’ONU les derniers développements concernant la question du Sahara ; avoir évoqué avec lui certains détails de l’élaboration du rapport sur le Sahara d’avril 2012, ainsi que certains autres concernant la résolution 2044 du Conseil de sécurité qui a suivi ce rapport ; et avoir procédé à une évaluation de la médiation de l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, Christopher Ross.
Saâd-eddine El Othmani a été encore plus clair. Il a confié avoir fait part au Secrétaire général de l’ONU des «préoccupations du Maroc concernant la teneur de ce rapport, les tentatives de dénaturation du mandat de la Minurso et les obstacles qui entravent le processus de négociation».
Que signifient ces reproches ? En termes simples, cela signifie que le Maroc n’a plus confiance dans la médiation que conduit Christopher Ross, l’envoyé personnel de Ban Ki-Moon au Sahara. Si le Maroc n’a pas officiellement demandé la résiliation du mandat de Christopher Ross, c’est tout comme… Car il est évident qu’un médiateur ne peut poursuivre ses «bons offices» dans un conflit si une des parties à ce conflit lui retire sa confiance (James Baker avait été déchargé de cette même médiation, en 2004, sur plainte du Maroc et Peter Van Walsum, en 2009, sur plainte de l’Algérie et du Polisario).
Mais que s’est-il passé avec Christopher Ross pour que le Maroc en arrive à se plaindre, explicitement, au Secrétaire général de l’ONU de son envoyé personnel au Sahara ?
En fait, cela fait bien longtemps que les rapports entre le Maroc et Christopher Ross sont tendus. Les sources de malentendu s’accumulent depuis 2010, le Maroc constatant de plus en plus que ses propositions étaient quasi-systématiquement marginalisées par le diplomate-médiateur, tandis que celles du Polisario et de l’Algérie (où il avait occupé le poste d’ambassadeur) étaient quasi-systématiquement prises en compte. Et cela, à propos de plusieurs volets du dossier: les points à discuter pendant les rounds de pourparlers informels, la nature du mandat de la MINURSO, les droits de l’homme au Sahara, les réfugiés de Tindouf, les ressources naturelles…
Mais la goutte qui a fait déborder le vase, c’est le projet du rapport sur la question du Sahara que Christopher Ross a proposé en avril dernier au Secrétaire général de l’ONU et aux membres du Conseil de Sécurité. Dans sa mouture du 6 avril, il a en effet réintroduit le mot «référendum» (au Sahara), alors que toutes les résolutions du Conseil de Sécurité, depuis 2007 ne parlent plus que de solution politique négociée «juste, durable et mutuellement acceptable». De même qu’il a voulu redéfinir le mandat de la MINURSO et élargir ses compétences, sans accord préalable des parties. Il a fallu revoir cette mouture à 3 reprises, avant qu’un projet de rapport relativement acceptable (11 avril) ne soit finalement proposé au vote à l’unanimité. Et encore… De nombreux points défavorables au Maroc y ont été maintenus (voire ajoutés…).
Si de nombreuses initiatives et propositions de Christopher Ross irritaient le Maroc –et qu’il n’en a rien dit, jusque-là, prenant son mal en patience- aujourd’hui, il s’en plaint ouvertement au Secrétaire général de l’ONU. Il s’agit de toutes celles qui, sous prétexte d’impasse, pour cause de ce que Ross appelle «un attachement indéfectible à des positions mutuellement exclusives», cherchent à internationaliser le conflit. Notamment, cette initiative de faire venir le Conseil de Sécurité au Sahara, qu’il comptait mettre en œuvre sans consultation préalable avec les parties (le Maroc est actuellement membre non permanent du Conseil de Sécurité pour deux ans)… Ou encore cette campagne qu’il a menée entre octobre et décembre 2011 auprès des Etats membres du Groupe des Amis (USA, Russie, France, Espagne, GB) pour qu’ils aient «des informations indépendantes plus nombreuses et plus fiables»… Ou enfin, ces négociations parallèles qu’il voudrait organiser avec «un groupe représentatif de Sahraouis (…) et du Maghreb»…
Le Conseil de Sécurité a adopté son rapport annuel et prorogé le mandat de la MINURSO pour 1 an. Ross comptait entreprendre une tournée dans la région ce mois de mai et organiser 2 autres rounds de pourparlers informels en juin et juillet prochain (en plus des 9 organisés à ce jour et qui sont restés sans résultats). Mais le Maroc ayant exprimé sa méfiance, voire sa défiance, ce programme est fort probablement appelé à être révisé. Il est sans doute temps de revoir en profondeur cette gestion du dossier du Sahara… Et l’occasion vient d’en être donnée.