A l’échelle internationale, les salaires moyens des femmes sont inférieurs de 4% à 36% à ceux des hommes.
L’an dernier, la croissance des salaires réels dans le monde a ralenti et reste en deçà du niveau d’avant la crise financière. C’est ce qui ressort du rapport sur les salaires dans le monde 2014-2015 qui vient d’être publié par l’Organisation internationale du travail (OIT), agence spécialisée de l’Organisation des Nations Unies (ONU). La croissance salariale a été de 2% en 2013, en recul par rapport à 2012 où le taux était de 2,2%, alors qu’avant la crise de 2008, cette croissance avoisinait les 3% par an.
Il faut dire que la croissance des salaires dans le monde est portée en réalité presque uniquement par les pays émergents. «Ces dernières années, la croissance des salaires au niveau mondial a été portée par les économies émergentes et les économies en développement où les salaires réels sont en hausse», explique le Bureau international du travail. Cependant, il existe de grandes variations selon les régions. Si la croissance des salaires réels en 2013 a atteint 6% en Asie et près de 6% en Europe orientale et en Asie centrale, elle a été inférieure à 1% en Amérique latine et dans les Caraïbes. Des estimations indiquent que les salaires réels auraient augmenté de presque 4% au Moyen-Orient, en raison de la forte croissance des salaires notifiée en Arabie Saoudite, mais que leur augmentation aurait été inférieure à 1% en Afrique. La croissance des salaires réels dans les économies émergentes du Groupe des vingt (G20), quant à elle, a ralenti, passant de 6,7% en 2012 à 5,9% seulement en 2013.
Forte hausse en Chine
Le constat est fort! La croissance des salaires mondiaux est réduite de moitié lorsque la Chine n’est pas considérée. En effet, une bonne part de la croissance des salaires mondiaux est à mettre au compte de la Chine. Cette croissance est expliquée par la grande taille de la Chine (couvrant 9.677.009 kilomètres carrés) et la forte croissance des salaires réels qu’elle enregistre. Si l’on exclut la Chine, on réduit presque de moitié la croissance des salaires réels mondiaux qui passe de 2% à 1,1% en 2013 et de 2,2% à 1,3% en 2012.
En ce qui concerne les économies développées, les salaires réels ont stagné en 2012 et 2013, leur croissance se situant à 0,1% et 0,2% respectivement. Dans certains cas (l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni), les salaires moyens réels en 2013 ont été inférieurs à leur niveau de 2007. Globalement, la croissance des salaires réels dans les économies développées a été distancée par celle de la productivité sur la période allant de 1999 à 2013. C’était le cas avant la crise en 2007 et les gains de productivité du travail ont continué de dépasser ceux des salaires réels à partir de 2009, après un bref resserrement de l’écart au plus profond de la crise.
Entre 1999 et 2013, la croissance de la productivité du travail a dépassé celle des salaires en Allemagne, aux Etats-Unis et au Japon. Cette dissociation de la progression des salaires de la productivité se retrouve dans la diminution de la part du revenu allouée au travail (la part du Produit intérieur brut consacrée à la rémunération du travail) au cours de la même période dans ces pays. Dans d’autres pays comme la France et le Royaume-Uni, la part du revenu allouée au travail est demeurée stable ou a augmenté. Parmi les économies émergentes, cette part a augmenté ces dernières années dans la Fédération de Russie et elle a diminué en Chine, au Mexique et en Turquie. Il importe cependant de noter que les conséquences sur la qualité de vie de la diminution de la part du revenu allouée au travail peuvent être différentes lorsque la croissance des salaires réels est rapide, ce qui a été le cas dans nombre d’économies émergentes et d’économies en développement, à la différence des économies développées. Entre 2000 et 2012, l’écart entre salaires réels dans les économies développées, d’une part et dans les économies émergentes, d’autre part, s’est resserré. Ce rapprochement s’explique par la forte croissance des salaires dans les économies émergentes, à la différence de beaucoup de pays développés.
Les inégalités de revenus persistent
Il y a une fracture salariale nette entre hommes et femmes. Selon le rapport mondial de l’OIT, les salaires moyens des femmes sont inférieurs de 4% à 36% à ceux des hommes et l’écart se creuse en termes absolus pour les femmes aux revenus élevés. A titre d’exemple, en Europe en 2010, les 10% des travailleuses du bas de l’échelle des salaires gagnaient environ 100 euros (1.102,12 dirhams approximativement) de moins par mois que les 10% des hommes en bas de l’échelle. A l’inverse, les 10% des femmes ayant les plus hauts revenus gagnaient près de 700 euros (7.714,84 dirhams approximativement) de moins par mois que les 10% des hommes les mieux rémunérés. Les raisons de cet écart de rémunération entre hommes et femmes sont complexes et diffèrent d’un pays à l’autre. L’écart réel de rémunération est expliqué, d’une part, par des caractéristiques observables susceptibles d’influencer la rémunération, comme le niveau d’éducation individuel et, d’autre part, par l’existence de discriminations sur le marché du travail.
La maternité est l’une des raisons sous-jacentes de l’écart global de rémunération entre hommes et femmes, selon l’OIT. Par exemple, les mères gagnent environ 33% de moins que les femmes sans enfant au Mexique, tandis qu’en Russie, l’écart est d’environ 2%.
Pour réparer cette injustice salariale, l’OIT fait plusieurs recommandations, y compris des mesures qui favorisent l’égalité entre hommes et femmes au travail et à la maison. «Surmonter l’écart de rémunération entre hommes et femmes est essentiel si l’on veut garantir une croissance inclusive. Cela requiert des efforts constants à différents niveaux», déclare Manuela Tomei, Directrice du département des conditions de travail et de l’égalité de l’OIT. «L’égalité de rémunération entre hommes et femmes doit être encouragée, notamment en combattant les stéréotypes sexistes sur les rôles et aspirations des femmes, en luttant contre les préjugés sexistes dans la structure salariale et les institutions qui fixent les salaires, en plaidant pour un partage équitable des responsabilités familiales et en renforçant les politiques concernant la maternité, la paternité et le congé parental», selon la même source. L’Organisation demande que la législation garantisse le droit à l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale.
Anas Hassy
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Interview
Patrick Belser, économiste senior à l’Organisation internationale du travail
Au niveau mondial, la croissance des salaires a décéléré en 2013 par rapport à 2012 et elle n’a pas encore retrouvé les taux d’avant la crise. Quelle est la raison derrière cette décélération?
La raison se trouve principalement dans le fait que les salaires ont quasiment cessé d’augmenter dans les pays développés depuis le début de la crise économique et financière mondiale, même si la productivité du travail est repartie à la hausse. Au jour d’aujourd’hui, ce sont donc les pays émergeants qui tirent les salaires au niveau mondial.
Que faut-il faire pour réduire les inégalités sur le marché de travail?
Il est possible de réduire les inégalités par la redistribution à travers l’impôt progressif et les transferts sociaux. Néanmoins, il est clair qu’une augmentation des inégalités sur le marché du travail demandera des efforts parfois trop importants au niveau de ces instruments de redistribution. L’idéal est donc une approche conjuguée qui repose également sur le renforcement des institutions du marché du travail, comme les salaires minima et la négociation collective. Ces derniers permettent de répercuter la hausse de la productivité dans un accroissement des salaires.
Quelles sont les perspectives de la croissance des salaires dans le monde?
Il est difficile de se prononcer sur l’évolution des salaires dans le monde durant les années à venir. Mais au vu de la situation à ce jour, l’année 2014 ne s’annonce guère mieux que 2013 en termes de croissance des salaires à l’échelle globale.
Interview réalisée par Anas Hassy