Une vague de mécontentement submerge les pêcheurs de M’diq. Ils prévoient de tenter un coup de force pour se faire entendre. La date n’est pas encore fixée, mais nos sources bien informées affirment que l’activité sardinière sera bloquée dans les jours qui viennent dans ce port du nord connu pour la pêche sardinière.
Quelque 21 bateaux sardiniers sont concernés par ce mouvement de protestation.
L’objectif des professionnels est de contester contre « le dialogue bloqué » avec les responsables du département de la pêche concernant le dossier des indemnisations des pêcheurs dont les filets sont détruits par le dauphin noir communément appelé « Negro ».
Ce port est quotidiennement le théâtre de scènes de déception lorsque les bateaux, à cause des frappes du dauphin noir, reviennent avec des filets complètement détruits.
Des centaines de marins pêcheurs de ce port craignent pour leur gagne-pain. «Le dauphin noir est très intelligent. Quand il frappe, c’est pour détruire nos filets et se nourrir. Quand on sort en mer, on revient sans rien à cause des attaques du Negro». Ce refrain est repris par pratiquement tous les pêcheurs joints cette semaine par nos soins.
Depuis plusieurs années, ce gros poisson attaque leurs filets. Les eaux de la région regorgent de ce poisson. Chaque jour, ils souhaitent échapper aux attaques de ce gros animal qui cible leurs poissons. Hélas, en vain. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à tenter leur chance ailleurs et ceux qui restent sollicitent l’aide des autorités locales, selon nos sources.
En mars dernier, une réunion s’est d’ailleurs tenue entre les professionnels de la pêche sardinière et les autorités locales pour discuter des difficultés rencontrées par les pêcheurs de ce port. Ont assisté à cette rencontre une quinzaine d’armateurs de la pêche côtière.
Au centre des discussions figurait notamment le dossier de l’accord, signé en 2017 et en vertu duquel il a été décidé que les professionnels de la pêche côtière soient dédommagés à hauteur de 100% (800.000 DH pour chaque embarcation). C’est ce qui leur a permis d’acquérir un nouvel engin de pêche de poissons pélagiques. L’opération avait bénéficié à 114 bateaux opérant dans la zone allant de Fnideq à Saïdia. Cet accord devait être renouvelable et concerne également la période 2019-2020. Mais, disent nos sources, il n’est pas encore mis en application. Ce point a été à l’ordre du jour de la rencontre ayant réuni, il y a quelques semaines, les autorités locales et les professionnels de l’activité sardinière de la zone.
Une commission du ministère de la pêche devait débarquer au port de M’diq après cette réunion pour rencontrer les pêcheurs de la zone. Mais, le gouvernement ne semble pas très inquiet, aucune réaction des responsables n’a eu lieu jusqu’à présent, déplore l’armateur Karim Lamrabet. Pas de quoi atténuer la colère des professionnels de la pêche sardinière, une activité qui fait vivre plus de 600 marins-pêcheurs dans le port de M’diq.
Notons que dans la zone, allant de Fnideq à Saïdia, la pêche pélagique demeure une activité principale pour plus de 3.000 pêcheurs. Soit, quelque 15.000 postes d’emploi indirect, selon des sources au Ministère de tutelle.
Les contestataires témoignent…
Pour des professionnels, approchés cette semaine, l’activité est menacée et plusieurs sardiniers risquent de ne plus pouvoir pêcher dans la zone, comme nous l’a déclaré l’armateur Karim Lamrabet, lequel évoque une baisse drastique des poissons pélagiques sur les côtes de M’diq. «Les professionnels ont beaucoup souffert ces deux dernières années. Ils ont le sentiment d’avoir été laissés seuls, face à leur souffrance qui n’en finit pas avec le dauphin noir. D’ailleurs, certains ont fait faillite et d’autres ont été obligés de vendre leurs bateaux pour s’acquitter de leur dettes», affirme, pour sa part, l’armateur Karim Lamrabet.
Pour étayer ses propos, notre interlocuteur, également Président de l’Union des coopératives des opérateurs de la pêche artisanale dans la région du nord, fait savoir que parmi les 38 bateaux sardiniers que comptait le port de M’diq, seuls 16 opèrent encore dans l’activité sardinière. «Et si aucune aide ne vient des responsables du secteur, il ne restera pas un seul bateau dans la zone», regrette-t-il. Les bateaux qui restent, poursuit-il, sont contraints de quitter M’diq pour chercher la sardine dans d’autres ports, notamment dans la zone atlantique (Larache, Mehdia,.. etc).
Même son de cloche chez M’hamed Bouguellit, un autre professionnel de la pêche sardinière à M’diq. «Notre chiffre d’affaires a nettement diminué malheureusement. Il est impossible de pêcher dans cette zone. Cet animal nous empêche de travailler. Chaque fois qu’on sort en mer, on revient avec un filet déchiré. On n’arrête pas de réparer les filets. Sachant qu’un filet de pêche ça coute très cher, pas moins de 80 à 90 millions de centimes», dit M’hamed Bouguellit, lequel évoque des frais énormes. Pour payer mes dettes, se désole-t-il, je dois vendre un de mes quatre bateaux, et peut être que je serai obligé de céder un deuxième pour honorer tout mes engagements.
Armateur depuis plus de 44 ans, Hassan Lamrabet qualifie, lui aussi, de «catastrophique» la situation dans cette zone du nord. «La situation est critique. Cela fait plus de deux années que la situation s’est beaucoup aggravée dans la zone de la Méditerranée. Les zones de pêche, autrefois très riches en poisson, sont aujourd’hui asséchées. En tant que professionnel, j’ai vécu plusieurs crises, mais je n’ai jamais vécu une telle situation. Il n’y a presque plus de poisson et les attaques du dauphin noir contre les pêcheurs n’arrangent pas les choses. Ces derniers perdent leur capture à cause des frappes de ce poisson qui envahit toute la zone de la Méditerranée», témoigne notre interlocuteur, également Secrétaire général de la confédération nationale de la pêche côtière.
Le ministère, insiste Hassan Lamrabet, «doit intervenir pour sauver le secteur de la pêche dans la zone». «Certes, le Maroc, étant signataire de l’Accobams, doit respecter la protection de cette espèce. Mais les enjeux socio-économiques sont très graves. Les dégâts que ce gros poisson cause aux bateaux sardiniers de la zone nord du royaume sont énormes. Et il est nécessaire de trouver des solutions», conclut Hassan Lamrabet.
Cimetières des «filets de pêche» !
Quelle solution aux attaques du dauphin noir contre les pêcheurs ? Et pourquoi les ressources ont-elles baissé dans la zone ? Y a-t-il des raisons scientifiques à cette chute des réserves dans la zone nord du pays ? A la Délégation régionale de la Pêche maritime, on confirme cette diminution des ressources. Depuis plus de dix ans, les captures au port de M’diq ont chuté de 35%, indique-t-on dans cette Délégation. Les professionnels, quant à eux, évaluent la diminution des prises à plus de 50% pour le poisson pélagique et à 40% pour le poisson de fond.
Pour nos professionnels, aucune explication scientifique n’a encore été donnée par l’Institut National de Recherche Halieutique (INRH) à cette chute des réserves. Et la solution aux frappes des dauphins, non plus, n’est pas encore trouvée, disent-ils.
Pourtant, l’INRH, en 2018, a commencé à se saisir de ce sujet complexe. Un appel d’offres a été lancé par l’Institut pour l’acquisition d’un nouveau filet de pêche de poissons pélagiques, en remplacement des filets actuels pour protéger les marins-pêcheurs des attaques du dauphin noir. A noter que trois types de filet de pêche -conçus par une société Française- ont fait l’objet d’une expérimentation dans certains ports du nord (Saïdia, cap de l’eau, Nador, Jebha, M’diq, El Hoceima…etc).
Contactés par nos soins, des patrons de pêche ayant testé ces filets nous ont confié que les résultats de ces tests n’ont pas été satisfaisants. «Les résultats de l’expérimentation des nouveaux filets ne sont pas satisfaisants. Ils sont très lourds pour nos bateaux. Ces filets peuvent s’adapter plus avec les grands bateaux. Sur nos bateaux, on n’a pas un triller comme celui dont disposent les grand bateaux. Les pêcheurs doivent fournir un grand effort pour le soulever. Sans parler de leur prix élevé», soulignent nos patrons de pêche.
A l’Association nationale des marins-pêcheurs au Maroc, nos sources ne mâchent pas leurs mots. «Remplacer l’actuel filet par un autre pour trouver une solution au ‘‘negro’’, ce sont, en fait, les pêcheurs qui ont fait cette proposition aux responsables du secteur. Malheureusement, ils n’ont pas été consultés lors de sa fabrication. Pourtant, ce sont eux qui sont sur le terrain et qui peuvent ainsi donner leur avis à même d’améliorer ce filet, dont la fabrication a été faite dans le secret total», insistent nos pêcheurs.
Ces derniers ne décolèrent pas. «On aurait préféré une concertation avec les professionnels de la pêche. Aujourd’hui, on se retrouve avec trois types de filets ayant été fabriqués par des Français et qui ne servent à rien. Ils sont d’ailleurs sur les quais des ports du nord», déplorent-ils. A force que le Negro attaque les bateaux et déchire nos filets, poursuivent-ils, «les ports de toute la zone nord sont devenus des cimetières pour les filets de pêche. Car les gens n’ont pas d’argent pour les réparer».
Naîma Cherii