Jamila, 22 ans, veuve et sans emploi, a deux enfants. Cette jeune femme raconte son destin brisé par l’injustice et l’asthme, une maladie pernicieuse nécessitant de gros moyens. Elle s’inquiète de son sort et de celui des petits. Voici son récit.
«Aujourd’hui, mes deux enfants et moi sommes seuls dans la vie. Nous n’avons ni revenu, ni parents pour nous accueillir ou pour nous aider. En plus, nous sommes atteints d’une grave maladie chronique.
Chaque fois qu’une crise se déclare, j’ai peur qu’elle ne finisse par nous tuer, comme ce fut le cas pour mon pauvre mari. Jamais au grand jamais, je n’aurais pu songer qu’il y avait aussi grave que cette épreuve qui s’est imposée à notre petite famille quelques mois plus tôt. Nous habitions la campagne jusqu’à ce que des intrigues familiales nous en fassent fuir…
Nous avions vécu avec ma belle-mère dans sa maison. Mon mari, en bon fils unique, s’occupait du petit lopin de terre attenant à la maison, un don de son père. On ne peut pas dire que cela nous enrichissait, mais nous nous en sortions. Mes belles-sœurs étaient mariées et n’étaient pas dans le besoin. Nos seuls plus grands ennemis, ceux qui nous rendaient la vie dure étaient la première femme et les enfants de mon beau-père. Ils n’avaient jamais digéré l’intrusion de ma belle-mère dans leur famille. D’ailleurs, ma belle-mère, usée par les éternelles histoires, mourut prématurément. Les pires humiliations s’ensuivirent aussitôt. Nous étions sans cesse harcelés et menacés de mort. Ils voulaient que nous déguerpissions sans demander notre reste, un point c’est tout. Le très vieux patriarche, avec beaucoup de difficultés, continuait à nous assurer sa protection. Mais dès qu’il eut passé l’arme à gauche, ces carnassiers se sont dépêchés de venir documents à l’appui nous chasser. A l’aide d’un scabreux jeu d’écriture, l’aîné de leur famille était devenu le seul et unique propriétaire de tout. Il avait racheté soi-disant à son père de son vivant tous ses biens. Ce qui en découlait était bien évidemment très clair: pas d’héritage pour mon mari et ses sœurs. Nous nous sommes retrouvés à la rue sans le droit de pouvoir emporter de notre maison le moindre clou. Ces fous jubilaient, alors que nous pleurions l’injustice. Il n’y avait plus que mes breloques en or reçues en dot pour nous sauver loin de cette contrée.
Les péripéties ont été nombreuses pour dénicher cette minuscule chambre au loyer très modeste en médina où il fallait avancer tout de même le montant excessif du pas de porte. L’avantage qui, à nos yeux, valait tout l’or du monde, c’était la proximité avec l’école du quartier pour ma fille. Quel bonheur pour nous, notre petite allait pouvoir s’instruire, puis son frère plus tard. Oui, avec des études, ce seront eux qui vengeront la famille. Cette idée nous remontait déjà le moral, notre misère disparaissait un instant, happée par le rêve d’un avenir plus doux. Mon mari disait également que le fait de me savoir entourée par un voisinage pendant que lui s’en irait chercher du travail le réconfortait considérablement. C’est ce qu’il fit. Il réussit à se faire embaucher pour plusieurs petits travaux, mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était d’aménager des petits jardins. Sans aucun doute, la campagne lui manquait. Il avait même réussi à se trouver une place pas loin, dans le quartier, pour vendre des plantes en pot le soir. Mon pauvre mari était un homme des pâturages, mais c’était un homme bon et courageux; il nous adorait. Grâce à son travail et à des économies drastiques sur notre alimentation, nous avions pu meubler ce semblant de maison tantôt avec l’achat d’un réchaud, puis des matelas en éponge, une natte en plastique… J’ai versé une rivière de larmes de joie lorsque j’ai apprêté ma fille pour son premier jour d’école. Hélas, toutes nos joies furent de courte durée. Mon mari s’est mis à tousser, puis à s’étrangler. Il disait, pour ne pas nous inquiéter, que ce n’était rien: un simple rhume. Il en est mort 3 mois plus tard. Le drame avait encore une fois frappé à notre porte. Tout le poids du monde me tombait sur les épaules. Que faire pour m’en sortir avec deux enfants, une fillette de 6 ans et un bébé de 3 ans? Et puis, il y avait autre chose. En un rien de temps, je me suis mise moi aussi à tousser, ensuite ma fille, puis maintenant mon bébé. Pour le moment, je tiens le coup grâce à la bonté de quelques personnes. Notamment celles qui logent dans la même maison que moi. Me sachant dans l’indigence totale et la maladie, ils ne cessent de me porter secours. J’ai tellement honte, sachant qu’eux-mêmes s’échinent au travail pour s’en sortir, leurs moyens restent très limités. La paysanne que je suis ne savait même pas comment faire pour se rendre à l’hôpital et passer une visite médicale. C’est une jeune fille qui travaille dans un salon de coiffure dans le coin, très touchée par mon drame, qui est venue de son propre chef pour m’emmener, avec mes enfants, passer des visites médicales au dispensaire du quartier. Elle m’a même acheté des carnets. Pour l’Aïd El Fitr, elle a fait une collecte et j’ai reçu une petite enveloppe. Je sais maintenant que mes enfants et moi-même souffrons d’asthme et nous avons besoin de faire plusieurs contrôles et analyses sanguines. Je n’ai pas les moyens nécessaires pour ça et je ne sais pas ce que c’est que cette maladie. Le médecin qui nous suit dit que nous sommes obligés de poursuivre à vie un traitement très coûteux. Sans cela, nous risquons de finir comme mon mari. Par manque de moyens, dernièrement, mon bébé a eu une crise tellement grave qu’il a fallu l’hospitaliser. Je doute qu’on comprenne que je suis dans l’extrême pauvreté. Je n’ose pas en informer le médecin, ni les infirmières, ma dignité me l’interdit. J’ai encore reçu des donations de la part de quelques personnes pour mon enfant. Une dame que je ne connais même pas m’a promis de venir chaque mois me payer les inhalateurs qui m’ont été prescrits, pour moi et mes enfants. Son geste est rassurant, certes, mais je n’ai malheureusement rien à lui offrir pour l’en remercier; cette situation me tue. Je ne peux me permettre de compter sur les gens tout le temps et s’ils venaient à disparaître, comment ferais-je pour soigner, nourrir, loger, assurer leur scolarité à mes enfants? Et si je mourais entre-temps, moi aussi, qui s’inquiéterait de leur sort?».
Mariem Bennani