Lorsque, après l’attaque contre Charlie Hebdo, cette petite phrase «Je suis Charlie» s’est propagée dans le monde, qui ne s’est posé cette question: «et moi, suis-je Charlie ?».
Dans un premier élan, après les infâmes assassinats qui ont coûté la vie à 12 personnes, ce jour-là (mercredi 7 janvier), il est bien certain que toute personne sensée s’est aussitôt sentie «Charlie». Nous autres journalistes étions profondément choqués par les massacres, accablés (esprit de corporatisme ?) par l’attentat contre la presse et, chez nous, au Maroc, révoltés autant qu’affligés que tout cela ait été fait au nom de l’Islam. Nous étions donc tous spontanément «Charlie», unis dans la compassion pour les morts et leurs proches, ainsi que dans la condamnation des auteurs de la tuerie.
Mais, au fur et mesure des événements qui ont suivi, quelques nuances ont été apportées à la confession de foi qu’étaient devenus les 3 mots «Je suis Charlie».
C’est le «oui, mais» que n’aime pas l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka (il le disait à France 2, dimanche 11 janvier). Un «oui, mais» qui a pourtant toujours existé, y compris en matière de liberté d’expression (liberté d’expression, oui, mais pas pour exprimer le négationnisme, ni pour faire l’apologie du racisme, ni pour appeler au crime).
En l’occurrence, il y avait plusieurs raisons aux «oui, mais»…
D’abord, au drame de Charlie Hebdo, se sont ajoutés ceux de la policière tuée à Montrouge et du supermarché casher, porte de Vincennes, où 4 victimes de confession juive étaient à déplorer. A la télévision, sur les lieux du drame, les proches de ces victimes disaient ne pas comprendre que l’on ne parle que de Charlie et non de leurs morts. Le monde se devait donc d’être Charlie, mais pas seulement… Il fallait être tous ceux que le terrorisme des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly avait visés durant ces 3 jours noirs vécus par la France du 7 au 9 janvier 2015.
Autre nuance qui a consisté en une angoisse pour tous les musulmans prônant la tolérance: et si «Je suis Charlie» était un cri de guerre contre les musulmans, au sens que lui donneraient le FN de Marine Le pen, le journaliste Eric Zemmour, ou l’écrivain Houellebecq ? …Voire tous les partis d’extrême droite européenne, dont le dernier-né est l’allemand Pegida ? Dans ce cas-là, quel musulman pourrait-dire «Je suis Charlie», même s’il le voulait ? La guerre n’est pas contre les musulmans, mais contre l’islamisme radical dont même les musulmans sont victimes !
Et puis, comment dire «Je suis Charlie» quand les amalgames ont atteint un point tel que la liberté d’expression ne signifie plus, pour certains, que le droit au blasphème (à l’égard de l’Islam et de son Prophète en particulier) ? Tous les croyants, de quelque religion que ce soit, se sentent offensés par les attaques contre leur foi. Si certains fanatiques ont tué pour cela, faut-il pour autant haïr l’ensemble des croyants ?
Nous sommes donc Charlie pour la défense des libertés, mais au nom de ces mêmes libertés, nous revendiquons le droit à la différence et nous nous battrons pour le respect de nos différences respectives.
Bahia Amrani