Au Maroc le suicide a de tout temps fait partie des tabous. On n’osait même pas en parler et l’on en dissimulait les cas. Prohibé par la religion l’acte est aussi répréhensible par les us et coutumes de la société marocaine. Mais au-delà de toutes ces considérations, il fallait se rendre à l’évidence que le fait de taire cet acte est susceptible d’engendrer de graves dysfonctionnements du système social. Voilà pourquoi, aujourd’hui, on en parle, souvent avec beaucoup de réticence mais le fait est qu’enfin, la société reconnait le suicide comme conséquence soit du manque d’assistance à ceux qui passent à l’acte, soit de pressions et exigences peu supportables de la société. Les inégalités, l’exclusion sociale, la précarité, la marginalisation… et on en passe.
L’essentiel est qu’aujourd’hui, cette société longtemps conservatrice ose parler ouvertement de ses maux, entre autres, le suicide… Surtout quand l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se penche sérieusement sur la question est sort un rapport accablant qui n’épargne aucun pays, notamment le Maroc.
Ce ne sont pas les cas qui manquent. Aussi, ce n’est plus la peine de continuer à se voiler la face et laisser le phénomène se hisser au rang de fléau.
A commencer par cette lycéenne de Fès qui s’est pendue en 2014 pour contester la décision de sa famille de la sortir de l’école pour la confronter à un mariage forcé.
En 2012, déjà l’affaire Amina Al Filali avait défrayé la chronique. La jeune fille avait mis fin à ses jours pour échapper à la contrainte d’épouser son violeur. Les causes sont multiples, des plus sérieuses au plus mystérieuses ou ridicules, elles mènent toutes au même résultat. A Sidi Slimane, un garçon de 11 ans s’était donné la mort juste parce que son père avait refusé de lui acheter une bicyclette. Cette année même, un jeune homme, victime de l’abus de pouvoir d’un Caïd, s’est lui aussi suicidé à Sidi Bettach, (région de Kénitra). Quelques temps avant, un policier s’est pendu à Salé et un autre a usé de son arme de service pour se donner la mort à Settat… L’on constate ainsi que le passage à l’acte est de plus en plus fréquent au Maroc. Par excès de désespoir ou de vulnérabilité, le phénomène a raison de beaucoup de gens souffrant de troubles mentaux, de dépression, de stress, d’impossibilité de supporter des problèmes financiers ou de relations humaines.
Ce qui était un tabou religieux et social devient ainsi, par la force des choses, une alarmante réalité à laquelle il faut sérieusement faire face surtout qu’elle affecte toutes les couches sociales et tous les âges.
Et l’OMS le confirme à travers cette déclaration de sa directrice générale, Margaret Chan, qui a souligné, à l’occasion du lancement de ce premier rapport du genre, qu’«Il faut agir pour répondre à un grave problème de santé publique resté trop longtemps tabou, mais tout à fait évitable».
Face à cette situation, L’OMS a, pour la première fois, fait le point sur le nombre de suicides dans le monde et sur les mesures de prévention ayant cours dans les différents pays. D’après le dernier rapport de l’Organisation, quelque 800.000 personnes se suicident chaque année dans le monde. D’après l’agence onusienne, la majorité des personnes qui se suicident ont plus de 50 ans et le suicide touche deux fois plus d’hommes que de femmes. En outre, le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans, précise le document, ajoutant que l’absorption de pesticides, la pendaison et les armes à feu sont les méthodes de suicides les plus répandues. Au Maroc, l’OMS affirme que le nombre de suicides est estimé à plus de 1.600 cas en 2012, dont plus de 1.400 hommes.
Par ailleurs, le taux de suicide dans le Royaume se situe entre 5 et 10 suicides pour 100.000 habitants. Toutefois et malgré tous les cas de suicide médiatisés, le sujet reste tabou au Maroc et il est rare d’établir des statistiques très précises. Il est presque impossible de se référer à des chiffres officiels en ce qui concerne les morts volontaires. Une seule et unique enquête a été menée en 2007, par le ministère de la Santé et le Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd de Casablanca sur un échantillon de 5.600 personnes. Selon cette étude, 16% de la population marocaine aurait des tendances suicidaires. Heureusement que ces 16% susceptibles de passer à l’acte, dont parle l’enquête, ne tentent pas tous de mettre fin à leur vie, mais c’est un indice de souffrance: difficultés économiques, sociales, déceptions, décalage entre les attentes et la réalité.
Selon la Gendarmerie Royale, ce ne sont pas moins de 416 personnes qui se seraient donné la mort en 2013. Cela fait en moyenne plus d’un décès par jour au Maroc. Ce nombre compte 13% de mineurs, 66% de majeurs et 21% de femmes. Du côté du ministère de la Santé, l’on souligne que près de 14% des adolescents marocains (13-15 ans) ont tenté de se suicider au moins une fois. N’est-ce pas choquant?
Rappelons, par ailleurs, qu’une tentative de suicide reste un délit puni par la loi comme le stipulent les articles 114, 115, 116, 117 et 407 du Code pénal marocain. La police judiciaire se doit d’enquêter et de dresser un PV pour établir les tenants et les aboutissants d’un tel acte.
Hamid Dades
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Les Marocains sont-ils devenus vulnérables?
Globalement, au Maroc, les décès par suicide sont plus nombreux chez les hommes que chez les femmes.
Le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), publié le jeudi 4 septembre 2014 à Genève, indique donc que plus de 800.000 personnes meurent chaque année dans le monde de suicide, soit une toutes les 40 secondes. La présentation officielle de ce rapport intervenait une semaine avant la Journée mondiale de prévention du suicide, observée chaque année le 10 septembre. Cette Journée est l’occasion de mener à l’échelle mondiale une action conjointe de sensibilisation sur le suicide et sa prévention.
Le suicide est un phénomène qui prend de l’ampleur au Maroc, ainsi qu’en Afrique où le taux a progressé en douze ans de 38%. Mais aussi dans le monde entier au point d’inquiéter l’OMS qui parle de «grave problème de santé publique».
Au Maroc…
Pour un pays musulman, le suicide reste un sujet tabou dans notre société. Un acte que les proches taisent pour éviter les regards de la société, ce qui fausse les statistiques sur ce phénomène. Et pourtant, le nombre connu a doublé en 10 ans, sachant qu’en 2012 il y a eu 1.628 suicides… Les hommes sont de loin les plus touchés avec 1.431 cas contre 198 pour les femmes.
En analysant le suicide par tranche d’âge, on s’aperçoit que le phénomène affecte davantage les personnes âgées. En effet, le taux de suicide des personnes âgées de plus de 70 ans atteint 14,4 pour 100.000 habitants en 2012. Ce taux est de 7,2 pour 100.000 chez les Marocains âgés de 50-69 ans et de 6,4 pour 100.000 pour les 30-49 ans. En revanche, chez les adolescents (15-29 ans), le taux est de 5,9 pour 100.000.
L’autre constat important qui se dégage du rapport de l’OMS montre que le taux de suicide a connu une hausse spectaculaire de 97,8% entre les années 2000 et 2012 au niveau national (6% pour les femmes et 135% pour les hommes). En comparaison avec d’autres pays du Maghreb comme l’Algérie et la Tunisie, on constate que les Marocains se suicident davantage. Le document de l’OMS relève 677 cas de suicide en Algérie et 262 cas en Tunisie.
… Et dans le monde
Les observations dans ce domaine révèlent: «Les taux de suicide chez les jeunes adultes et les femmes âgées sont plus élevés dans les pays à revenu faible ou intermédiaire que dans les pays à revenu élevé. Les femmes âgées de plus de 70 ans risquent deux fois plus de mourir de suicide que celles de la tranche des 15-29 ans». Si le taux de suicide en Afrique était jusqu’ici proche de la moyenne mondiale (de 11,4 pour 100.000 habitants en 2012), les choses ont évolué dans le mauvais sens puisque le taux de suicide dans cette région a progressé de 38% entre 2000 et 2012, particulièrement chez les personnes âgées et les jeunes, constatent les auteurs du document.
Les méthodes
D’après l’organisation, «l’ingestion volontaire de pesticides fait partie des méthodes les plus courantes de suicide dans le monde et ce problème est particulièrement préoccupant dans les zones rurales agricoles de la région africaine». Outre l’intoxication par pesticides, l’OMS indique que la pendaison et les armes à feu comptent aussi parmi les méthodes les plus fréquemment utilisées au niveau mondial pour se suicider.
La solution
L’OMS avance qu’il existe des moyens pour réduire le nombre des suicides dans le monde. Un des moyens de faire baisser le nombre de décès est de réduire l’accès aux moyens de se suicider, suggère le rapport. «D’autres mesures efficaces existent, comme une couverture responsable du suicide par les médias, notamment en évitant de céder au sensationnalisme et de décrire de manière explicite les méthodes employées, ainsi que le diagnostic et la prise en charge précoces des troubles mentaux et liés à l’usage de substances psychoactives chez les communautés, en particulier par les agents de santé», poursuit le rapport.
Les récidivistes
Les experts de l’OMS estiment qu’il est essentiel que ceux qui ont déjà essayé de mettre fin à leurs jours bénéficient d’un suivi par les agents de santé, ainsi que d’un soutien communautaire, car ils risquent davantage de faire de nouvelles tentatives.
Combler les lacunes
Les personnes atteintes de troubles mentaux neurologiques sont présentes dans toutes les régions du monde et dans toutes les communautés et groupes d’âge, indépendamment du niveau de vie de leurs pays. Alors que 14% de la charge mondiale de morbidité est attribuée à ces troubles, la plupart des personnes affectées (75% d’entre elles vivent dans les pays à faible revenu) ne peuvent accéder au traitement dont elles ont besoin. Le Programme d’action Combler les lacunes en santé mentale (mhGAP) vise à élargir l’accès aux soins que nécessitent les troubles mentaux, neurologiques et liés à l’utilisation de substances psychoactives en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Il affirme qu’en bénéficiant des soins appropriés et d’un soutien psychosocial, des dizaines de millions de personnes pourraient être traités pour la dépression, la schizophrénie et l’épilepsie, empêchées de se suicider et commencer à mener une vie normale, même lorsque les ressources sont rares.
Bouchra Elkhadir
Communiqué de l’OMS «Plus de 800.000 personnes meurent chaque année de suicide, soit une toutes les 40 secondes, révèle le premier Rapport mondial de l’Organisation mondiale de la Santé sur la prévention du suicide. Environ 75% des suicides sont commis dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. L’intoxication par pesticides, la pendaison et les armes à feu sont les méthodes les plus fréquentes au niveau mondial. Les données de l’Australie, du Canada, des États-Unis, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et de plusieurs pays européens montrent que le fait de limiter l’accès à ces moyens peut aider à prévenir les décès par suicide. Une autre manière d’y parvenir serait l’engagement des gouvernements nationaux à élaborer et à mettre en œuvre un plan d’action coordonné. Aujourd’hui, seuls 28 pays possèdent des stratégies nationales de prévention du suicide». |
Le suicide dans les régions de l’OMS Afrique Amériques Méditerranée orientale Europe Asie du Sud-Est Pacifique occidental |
Déclarations Leïla, institutrice «Je suis surprise par ces chiffres que vous me donnez. Ils sont vrais ? J’ai du mal à le croire… J’entends, de temps en temps, que quelqu’un s’est suicidé, mais je n’ai pas l’impression qu’on se tue aussi souvent au Maroc. Si Mohammed, marchand de tissus «Aoûdou billah ! Le suicide est interdit. Notre religion ne le permet pas. Quand on se suicide, c’est comme si on n’acceptait pas ce que Dieu nous a donné. Il nous donne le bien, mais aussi, pour tester notre foi, quelques épreuves. Il nous faut accepter les épreuves comme on accepte les bonnes choses. Se suicider, c’est se révolter contre la volonté de Dieu. Aoûdou billah ! Pour cette jeune fille qui s’est suicidée parce qu’on l’a mariée à celui qui a attenté à son honneur (NDLR: Amina Filali), ça m’a bouleversé, mais il fallait que sa foi en Dieu soit plus forte. Elle aurait sûrement fini par gagner et ne plus rester avec lui. Maintenant, qui est perdant ? Elle qui est morte ! Lui, après quelques années de prison, il reprendra une vie normale…». Sidi Ali, agent d’une commune urbaine «Je crois volontiers à ces chiffres, parce que tous les jours, il y a des gens qui viennent nous menacer de se suicider si on ne résout pas tel ou tel de leurs problèmes. Mais on ne peut pas tout résoudre et, parfois, je suis réellement effrayé par leur détermination. Je me dis cet énergumène va le faire, il va se suicider… Mais, comme je vous ai dit, on ne peut pas tout résoudre. En fait, les gens sont devenus plus exigeants, moins patients et plus violents. En plus, le suicide s’est banalisé. Il a même gagné en célébrité, depuis que le marchand de Tunisie (NDLR: Bouaazizi) a déclenché les colères arabes en se suicidant. Si vous saviez combien de marchands ambulants, après sa mort, nous ont menacés de se suicider si on ne les laissait pas vendre leur marchandise n’importe où !» Aziza, employée dans une pâtisserie «Vous savez, les gens sont tellement accablés par les problèmes, par le manque de moyens financiers, ils ont tellement la rage quand ils n’arrivent pas à nourrir convenablement leurs enfants, ou qu’ils sont victimes d’injustice, qu’ils vont de plus en plus vers la solution du suicide. C’est normal. Si on veut moins de suicides, alors, il faut moins d’injustice et un peu plus de compréhension et de compassion pour ceux qui n’ont rien. Mounia, étudiante «Je comprends tous ceux qui se sont suicidés. Ils avaient leurs raisons. A quoi ça sert de vivre quand il n’y a plus de solution à vos problèmes ? Le suicide est toujours un acte de désespoir. Il ne faut donc pas s’étonner si, après avoir fait la sourde oreille devant ce désespoir, on se retrouve devant un suicidé !» |
Dossier réalisé par Hamid Dades et Bouchra Elkhadir