Syrie. Frappes ou pas frappes?

Il est une règle anglosaxonne -la règle des 5 W- très simple. Les professeurs l’enseignent à leurs étudiants dès la classe terminale, sinon, au plus tard, en 1ère année universitaire. Elle consiste, chaque fois que l’on tente de comprendre un sujet, ou que l’on veut en rendre compte par écrit, à se poser 5 questions: what, why, who, when, where ? (Quoi, pourquoi, qui, quand, où ?). Cela permet de structurer sa pensée.
Dans le dossier syrien, plus la communauté internationale va et plus elle s’emmêle les pinceaux dans les réponses à ces 5 questions. D’où les tergiversations et divisions dans lesquelles elle s’empêtre chaque jour un peu plus.

Commençons par le what (de quoi s’agit-il?). Si au début, le postulat était clair: un régime qui massacre son peuple et dont la violence doit être stoppée, au fil des mois, tout s’est embrouillé. Au point que l’opinion publique ne sait plus s’il s’agit d’une révolte de l’opposition syrienne contre Bachar El Assad, d’un affrontement entre Chiites et Sunnites, d’une guerre entre le régime El Assad et ses pairs des monarchies du Golfe (via des groupuscules jihadistes), d’une lutte d’influence entre Russes et Américains, d’une extension du conflit du Proche-Orient (avec l’Iran dans le collimateur)… Ou de tout cela à la fois ? Le fait est que, spontané ou provoqué, le soulèvement populaire initial, géré avec brutalité par le régime de Bachar, finit en grande foire d’empoigne où tous les pays membres de l’ONU se retrouvent impliqués, sommée de se prononcer pour ou contre des frappes militaires contre la Syrie.
D’où le scepticisme que suscite le pourquoi (why) des frappes. Visent-elles encore à «sauver le peuple syrien» ? Rien n’est moins sûr, tant les arguments avancés par les grands de ce monde varient, allant dans tous les sens. L’argument officiel des Américains est pour le moins déconcertant: l’utilisation des armes chimiques était une ligne rouge. Elle a été dépassée. Il faut donc des frappes… Mourir sous les bombes depuis 2 ans, mourir égorgé dans les quartiers des villes présumées rebelles, ou mourir sur les chemins de l’exil parce que n’ayant plus de «chez soi» dans son pays, c’est donc moins grave que mourir gazé ? Quant aux autres arguments, ils laissent souvent perplexe. Entre ceux qui veulent déboulonner le régime Assad (Arabie Saoudite, Turquie), ceux qui veulent le punir sans le renverser (Israël, France), ceux qui veulent des frappes justes pour ne pas perdre la face (faire ce qu’on a menacé de faire, sous peine de discrédit) et ceux qui pensent que renoncer aux frappes constituerait une menace pour eux-mêmes (si elles n’ont pas lieu, cela aurait «des conséquences profondément négatives et dangereuses pour les États-Unis, non seulement au Moyen-Orient, mais partout dans le monde», a ainsi déclaré l’ancien secrétaire américain à la défense, Robert Gates, le 5 septembre dernier. Un avis repris par le Président Obama dans son discours de ce 10 septembre)… L’on comprend que l’opinion publique internationale soit quelque peu interloquée, constatant de plus en plus qu’il est moins question de punir le crime contre l’humanité que de sanctionner l’utilisation des armes chimiques.
La question «qui va participer aux frappes ?» (who), est encore plus déroutante. Les opinions publiques du monde occidental ne veulent pas d’un «remake» des guerres d’Irak et d’Afghanistan. Leurs chefs d’Etat sont donc obligés d’en tenir compte. Le parlement britannique a ouvert le bal du «Non, merci». Depuis lors, les Présidents Obama et Hollande n’ont plus compté les réticences. La réunion du G20 à Saint Petersburg a été pour eux une grande douche froide. 12 pays seulement ont signé la déclaration du G20 sur la Syrie. Du reste, à y regarder de plus près, les Présidents Obama et Hollande eux-mêmes semblent moins déterminés à engager leur pays dans une intervention militaire qu’ils ne veulent le laisser croire. C’est bien John Kerry qui a le 1er déclaré qu’il y avait possibilité de renoncer aux frappes si la Syrie renonçait de son côté à son arsenal d’armes chimiques. Il a suffi que la Russie en fasse une proposition d’alternative aux frappes (l’après-midi même, d’où certains soupçons de connivence entre les deux super puissances) pour que tous les protagonistes sautent dessus, affirmant être prêts à examiner sérieusement la proposition (Ban Ki-Moon compris).
En fait, depuis le début de la crise syrienne, si les menaces contre le régime El Assad se sont multipliées, elles n’ont eu d’égal que les tergiversations qui les ont accompagnées. Bachar étant soutenu par la Russie, l’Iran et le Hezbollah, ceux qui brûlent d’en découdre avec lui y réfléchissent à deux fois, tant un brasier allumé dans cette région pourrait vite dégénérer en 3ème guerre mondiale, avec de grosses menaces sur Israël. C’est la raison pour laquelle le timing des attaques contre Damas (when) est resté constamment flou. Après 11 recours aux armes chimiques dans le conflit syrien, les uns disaient attendre d’en avoir la preuve formelle, les autres de savoir qui en est l’auteur, les troisièmes d’avoir l’avis de leur parlement pour réagir, et les derniers de voir le rapport des experts de l’ONU, envoyés sur place ce mois d’août…
Enfin, la plus cocasse des questions est celle du where ? Où peuvent avoir lieu les frappes ? Quelles cibles ? A-t-on déjà vu une guerre où l’on annonce au futur bombardé ce qu’on bombardera chez lui ? Le régime El Assad a ainsi appris que les éventuels raids viseront son ministère de la défense, les lieux censés abriter ses avions de combat, ceux présumés stocker ses armes chimiques… Comme s’il allait attendre que cela se fasse, sans essayer de sauver son arsenal en le mettant à l’abri, loin des frappes annoncées.
Tout ceci montre à quel point cette idée de frappes était un piège pour ceux qui la défendaient et à quel point eux-mêmes en étaient conscients !
C’est dire si la proposition russe est aujourd’hui la bienvenue ! Du vrai pain béni…
Qui voulait que le baril de pétrole grimpe à 150 dollars ? Qui souhaitait que les économies de la planète, qui commencent à peine à remonter la pente, après la terrible crise économique et financière de 2008 les impactant à ce jour, repiquent du nez, pour cause de guerre dans une région qui produit plus du tiers du pétrole mondial ?
Au Maroc, Dieu sait si le régime El Assad est honni pour ses trahisons (malgré la main tendue par le Roi Mohammed VI qui avait reçu Bachar en 2001 et s’était rendu chez lui en 2005), pour son soutien aux adversaires de l’intégrité territoriale marocaine et pour sa brutalité contre son peuple… Pourtant, bien qu’écoeuré par le gazage des civils du 21 août dernier et adhérant aux positions de ses alliés, le gouvernement marocain n’a eu de cesse d’appeler à une solution politique, espérant qu’un «Genève II» pourrait la trouver. Ici aussi, l’impact de la crise de 2008 a été si dur que nul n’avait intérêt à voir aggraver les déficits et charges de compensation, au moment où les prévisions de croissance connaissent un frémissement. En tout cas, l’opinion publique marocaine est majoritairement contre ces frappes et il est heureux que leur spectre s’éloigne.
Quant aux centaines de milliers d’innocents victimes des génocides du régime syrien, paix à leur âme, les grandes puissances font semblant d’y penser encore et la planète fait semblant de le croire. Mais l’on ne parle plus que de la destruction des armes chimiques de Bachar.
Il faudra pourtant bien trouver une solution aux civils qui meurent autrement que gazés dans cette crise syrienne qui dure depuis deux ans ! C’est le rôle de l’ONU. Mais si l’ONU avait été efficace, on n’en serait pas là. Alors quoi, se rendre pieds et poings liés à la realpolitik ? C’est aux grands de ce monde de répondre, eux qui ont les moyens de leurs politiques !

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