Par ses frappes et son implication directe, la Russie change la donne en Syrie et dans la guerre contre Daech.
Poutine estime qu’il n’y aura pas de victoire définitive au sol contre Daech sans l’implication de l’armée syrienne. Les bombardements russes visent donc à desserrer l’étau autour des territoires encore contrôlés par Damas pour préparer une offensive terrestre.
Cette offensive devrait être menée par les alliés du président Al-Assad, l’Iran et le Hezbollah appuyé par les Russes sur place.
On est loin de la grande coalition internationale proposée par le président russe à l’ONU. Sergueï Lavrov, ministre russe des AE, estime que sans la présence de l’armée syrienne au sol pour soutenir l’action des raids aériens, toute offensive contre le groupe Etat islamique est vouée à l’échec. Néanmoins, il se déclare très intéressé par une coopération avec les forces de la coalition. Cela paraît pour le moment impossible. La réaction très négative de l’Arabie Saoudite à l’intervention de Moscou l’illustre d’ailleurs parfaitement. Ce qui est certain, c’est que les Occidentaux et leurs partenaires arabes ont été pris de vitesse et que la lutte contre Daech passe sur le terrain par un sauvetage ou un renforcement du régime syrien.
Sur le plan militaire, les frappes russes tétanisent Washington, Londres et Paris qui veulent éviter une bavure dans le ciel. Ils sont mis devant le fait accompli.
Pour la première fois depuis la Guerre froide, Moscou qui dit lutter contre l’EI et soutenir Al-Assad ; et Washington qui dit lutter à la fois contre l’EI et Al-Assad ; se retrouvent à soutenir des parties opposées dans un conflit au Moyen-Orient… Cela ressemble de plus en plus à une guerre d’Espagne qui a précédé de peu un conflit mondial.
Pour les Américains comme pour les Français, en tout cas au niveau gouvernemental, le départ d’Al-Assad reste une condition d’une lutte efficace contre Daech. En un mot, «le tyran à l’origine du problème ne peut faire partie de la solution».
Cette position morale est intenable sur la durée. Poutine a beau jeu de rappeler aux alliés que, lors de la dernière guerre, les démocraties, ayant jugé le nazisme comme l’ennemi prioritaire n’ont pas hésité à s’allier à l’Union Soviétique de Staline, un autre visage pourtant du totalitarisme.
Le gouvernement français paraît une fois de plus piégé par une idéologie peu réaliste et de plus en plus de voix se font entendre pour énoncer des évidences: il n’y aura pas de solution sans la Russie, l’Iran et Al-Assad. Il faudra voir plus tard, après l’éradication de Daech qui d’ailleurs est loin d’être gagnée.
Sur le plan militaire, difficile d’y voir clair. Il est probable que les Russes ne visent pas que les bases du prétendu califat, mais l’objectif est affiché. «L’objectif est vraiment d’aider les forces armées de Syrie dans leurs points faibles», a indiqué le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, dans une définition plus large des cibles des Soukhoï russes. L’armée d’Al-Assad est notamment en difficulté dans le nord-ouest du pays, dans la province d’Idlib où les rebelles de l’Armée de la conquête, alliance de plusieurs composantes de l’insurrection syrienne, dont le Front Al Nosra (affilié à Al-Qaïda) mais pas l’Etat islamique, ont progressé depuis le début de l’année. Cette région commande l’accès aux zones côtières, cœur du pays alaouite d’Al-Assad où se trouve aussi la base militaire de Tartous utilisée par la marine russe.
Dans un autre signe de l’internationalisation du conflit syrien, qui a déjà fait plus de 250.000 morts et déplacé des millions de personnes en quatre ans et demi, des sources libanaises ont affirmé à Reuters que les frappes aériennes russes allaient être prochainement suivies par une offensive au sol menée par les forces pro-gouvernementales syriennes et leurs alliés chiites iraniens et du Hezbollah libanais.
Une avant-garde constituée de centaines de soldats iraniens est arrivée ces dix derniers jours en Syrie. «Il ne s’agit pas de conseillers, mais de centaines de soldats avec leurs équipements et leurs armes», souligne-t-on. Les combattants du Hezbollah libanais, qui participent à la guerre aux côtés des forces gouvernementales, se préparent eux aussi à cette grande opération terrestre.
Sur le plan politique international les conséquences sont encore difficiles à évaluer. La Russie affirme combattre le groupe Etat islamique et d’autres groupes extrémistes, mais les Américains la soupçonnent surtout de se préoccuper du maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad.
L’évolution sur le terrain aura donc des conséquences internationales importantes. Pour le moment, en tout cas, Poutine a repris la main et Al-Assad n’est plus sur la défensive.
Patrice Zehr