Quand on y réfléchit calmement, après tous ces jours derniers où les Marocains découvraient, ahuris, jusqu’où pouvaient aller les adolescents dans la délinquance et l’apologie du crime, on est forcé d’admettre que cette terrifiante mode appelée «Tcharmil», qui s’est propagée comme se propagent les modes, parmi la Jeunesse marocaine défavorisée –et a même séduit des mineurs de moins de 15 ans, fiers de s’exhiber sur internet, armes blanches brandies- n’a pas que les causes qu’on lui prête.
Rappelons d’abord ce qu’est le «Tcharmil». C’est une mode récente qui consiste, pour les jeunes Marocains, généralement issus de milieux désavantagés, à arborer la même coiffure (crâne rasé, hormis une crête au sommet), le même style vestimentaire (habits et chaussures de sport de grandes marques) ; à posséder une arme blanche (grand couteau, sabre, ou hache) ; à assurer son indépendance financière par des agressions et activités criminelles plus ou moins graves et plus ou moins lucratives ; et enfin, à exposer sur Facebook ses photos (de dos, pour les moins inconscients), ses armes et son butin (impressionnantes liasses de billets d’argent, montre de luxe, Smartphones de dernière génération…).
Fort heureusement –et grâce aux fermes instructions royales- l’Etat s’est mobilisé pour donner un coup d’arrêt à cette mode, dans le cadre d’une vaste campagne contre l’insécurité.
Il a été procédé à une identification systématique de tous ceux qui ont plastronné sur les réseaux sociaux et à de nombreuses arrestations, y compris parmi les fabricants, importateurs et vendeurs des redoutables sabres.
La réponse sécuritaire, donc, a été immédiate, ferme et –si l’on en croit les premiers résultats annoncés- efficace. Pourvu qu’elle dure…
Est-ce suffisant, pour autant ? Il est bien évident que non.
Le phénomène du «Tcharmil», ainsi que de toute cette criminalité qui se développe et dont les auteurs ont généralement moins de 30 ans, doit nous interpeller sur une Jeunesse à la dérive ; une Jeunesse qui, même dans les milieux favorisés, est livrée à elle-même, sans repères, sans perspectives, sans modèles…
Ceux qui ont, dans leur famille, des adolescents le savent et en souffrent. Les jeunes s’ennuient. L’école n’est pas attractive. Elle ne remplit plus son rôle. Elle ne donne plus le goût du savoir, de l’émulation intellectuelle, de la course à la connaissance. Aux yeux de la majorité des jeunes, elle ne garantit plus l’ascension sociale… L’Etat, aux prises avec ses fragiles équilibres budgétaires, n’a ni idées de stratégie pour les jeunes, ni les moyens d’en mettre une en oeuvre. Le budget de l’éducation nationale est très lourd, mais toujours insuffisant. Il n’y a strictement rien pour encadrer les loisirs sains des jeunes. Le week end, ou pendant les vacances, les adolescents se morfondent, n’ayant aucun espace pour les accueillir et finissent par traîner dans les rues, se réfugier dans les salles de billard, goûter à l’interdit (alcool, drogues, larcins…).
Le ministère de la Jeunesse et des sports semble se soucier davantage du sport que de la Jeunesse. On nous dit qu’il y a des maisons de jeunes. Où sont-elles, serait-on tenté de répondre ? Car personne n’en entend parler. Aussi bien les adolescents que les parents, dans l’ensemble, en ignorent l’existence.
Si l’on veut sauver les jeunes, il faut un réel sursaut national… Au moins égal au sursaut sécuritaire… Et vite ! Tous les rapports et classements mondiaux nous accablent déjà. Mais ce n’est pas cela le plus grave. La vraie question, c’est de quoi sera fait le pays demain ? Car ce qui nous importe le plus, c’est l’avenir de la nation. Or, quel avenir pour cette nation si nous n’assurons pas à nos jeunes, aujourd’hui, ce qui leur permettrait d’en porter le flambeau, demain ?
Bahia Amrani