Une démocratie peut-elle torturer pour assurer sa sécurité?
La réponse est non, surtout quand le danger est passé. En fait, il y a un déni de réalité…
Face à la nécessité, les démocraties sont des Etats comme les autres et savent mettre leurs grands principes entre parenthèses. La différence, c’est qu’après coup, les démocraties reconnaissent et condamnent mais, pour le torturé, cela ne fait cependant pas grande différence.
L’indignation de la France en Algérie, hier, ou des USA contre le terrorisme, aujourd’hui, arrive toujours trop tard et même après coup. Les dénonciations sur le moment n’ont d’ailleurs pas de véritable effet.
L’hypocrisie des politiques, qui condamnent avec indignation ce qu’ils ont toléré par un silence complice, est également manifeste.
Il est presque impossible de légitimer la torture en démocratie. Le seul argument est d’obtenir de la part de terroristes des renseignements permettant de sauver la vie de civils innocents ou de camarades au combat. Mais quand la torture ne donne pas de vrais résultats indiscutables, comme dans 24 heures chrono, qui peut la défendre?
24 heures chrono est un formidable exemple de justification de la torture après le 11 Septembre dans le modèle américain. Une formidable série mais, comme tant d’autres, une série de propagande.
Jack Bauer est un tortionnaire patriote qui perd son âme pour sauver la vie des autres. C’est un héros américain. C’est un feuilleton qui a fait le tour du monde et légitimé auprès de l’opinion ce que l’on condamne aujourd’hui.
Demain, la torture deviendra démocratie ou pas si un système se sent menacé. Et il faudra s’y faire, la démocratie notamment américaine est, quand nécessité fait loi, un régime tortionnaire comme les autres.
Le directeur de la CIA a reconnu, jeudi 11 décembre, que l’agence de renseignement américaine avait utilisé des méthodes d’interrogatoire «répugnantes», reconnaissant un manque d’expérience dans la détention des prisonniers. «A bien des égards, la CIA a navigué en terrain inconnu, nous n’étions pas préparés. Nous avions peu d’expérience dans la détention de prisonniers et peu d’agents avaient été formés aux interrogatoires», a reconnu John Brennan lors d’une conférence de presse inédite après la publication d’un rapport accablant sur l’utilisation de la torture après le 11 Septembre. Pire, le directeur de la CIA a affirmé qu’il était «impossible de savoir» si la torture utilisée contre des membres présumés d’Al-Qaïda avait permis de leur soutirer des renseignements valables pour empêcher de futurs attentats, voire produire de «fausses informations». Le directeur de la CIA défend les siens comme il le peut face à un rapport accablant.
La version abrégée du rapport de la Commission du renseignement du Sénat des États-Unis sur le programme de détention et d’interrogatoire de l’Agence centrale de renseignement (Central Intelligence Agency, CIA) constitue une puissante dénonciation du recours intensif et systématique à la torture par cette agence, a déclaré Human Rights Watch le 10 décembre. La synthèse de 525 pages, partiellement expurgée et rendue publique le 9 décembre 2014, fait partie d’un rapport de 6.700 pages classifié, dont la Commission n’a pas encore indiqué si elle prévoit de le publier.
Le rapport abrégé documente les nombreuses fausses déclarations faites par la CIA sur l’efficacité du programme et démontre que des responsables américains avaient connaissance qu’il était illégal. Il fait ressortir la nécessité pour le gouvernement américain de publier sans tarder le rapport complet, de renforcer la surveillance de la CIA et de mener des enquêtes et des poursuites appropriées contre les hauts fonctionnaires responsables du programme de torture, selon Human Rights Watch.
Mais ce rapport est-il objectif ou politisé?
«Je pense que ce rapport est déplorable. Il me semble très imparfait», a déclaré sur la chaîne Fox News l’ancien vice-président américain en poste sous l’ère George W. Bush entre 2001 et 2009, à l’époque où ont été perpétrés les interrogatoires musclés par la CIA. «Ce rapport est plein de conneries, excusez-moi», a-t-il poursuivi avant d’ajouter que les auteurs du rapport n’ont pas pris la peine d’interroger les personnes clés impliquées dans ce programme. Selon lui, George W. Bush faisait partie intégrante du programme et connaissait la plupart des détails.
«Qu’étions-nous supposés faire (Ndlr: avec Khaled Cheikh Mohammed, la personne soupçonnée d’avoir organisé les attentats du 11 Septembre)? L’embrasser sur les deux joues et lui demander: s’il vous plaît, s’il vous plaît, dites-nous ce que vous savez? Bien sûr que non», a-t-il ironisé.
Une chose est sûre, l’Amérique confrontée aux démons du racisme se retrouve face à ceux de la torture… Et comme Jack Bauer, c’est du cinéma, ce cauchemar américain ne se réglera pas dans 24 heures chrono.
Patrice Zehr