Tunisie : Et si cette fois, c’était vraiment le printemps !

Tunisie 2014

Il faut rester bien sûr dans la prudence qui est avec l’esprit critique, la ligne de conduite de nos analyses. Il n’en reste pas moins que les dernières élections en Tunisie sont cette fois porteuses d’espérance.

Le Printemps arabe né en Tunisie avait été une terrible illusion. La révolte de la jeunesse branchée contre un régime vieillissant et corrompu n’avait fait illusion que chez ceux qui prennent leurs désirs politiques pour des réalités. Moralité: en Tunisie comme en Egypte, les islamistes ont confisqué, dans les urnes et démocratiquement, les aspirations pour la liberté.
Mais en Tunisie comme en Egypte, ces partis, voulant imposer politiquement leurs conceptions de la société, ont échoué. C’est pour les partisans de l’islam de tradition, mais de tolérance, de respect et de progrès, une excellente nouvelle. Cela conforte la ligne marocaine.
Il faut cependant bien voir qu’en Egypte, le pouvoir autoritaire kaki a repris la main et que le danger fondamentaliste n’est pas écarté. De la même manière, on a moins voté cette fois en Tunisie et il y a un courant djihadiste qui ne renoncera pas à imposer par la force son obscurantisme.
Les mouvements démocratiques ne se sont pas véritablement imposés, mais le succès des laïcs est incontestable. Il est partagé avec d’anciens partisans du régime Ben Ali. Ce qui veut dire que ce régime rejeté a été un temps sans doute diabolisé et qu’avec le temps, son bilan est plus nuancé.

En fait, c’est Bourguiba, qui est pris comme référence sur une certaine modernité et une liberté, notamment des mœurs pour les femmes, qui est incontestable. Les Tunisiens ne souhaitent certainement pas une sorte de restauration à l’Egyptienne, mais une voie tunisienne pouvant inspirer le monde arabe et rétablir dans le pays une certaine douceur de vivre et un retour des touristes pour redresser l’économie.
Un vote des pragmatiques et du bon sens pourrait annoncer cette fois, peut-être, un véritable printemps. Mais n’allons pas trop vite, nous n’en sommes pas là.
Les élections législatives du 26 octobre, dans ce pays précurseur en décembre 2010 du mouvement qui devrait embraser la région l’année suivante, ont été jugées «crédibles et transparentes» par les observateurs de l’Union européenne. La première leçon est bien sûr l’incontestable défaite des islamistes électoraux.
La défaite, d’abord, des islamistes d’Ennahda, qui avaient largement remporté les premières législatives libres d’octobre 2011: deux ans d’exercice du pouvoir assez peu concluant, la très difficile situation économique, l’assassinat d’opposants et la montée du terrorisme ont convaincu les Tunisiens que le moment était venu de tenter l’alternance. Vainqueur des premières élections libres de l’histoire de la Tunisie en octobre 2011, très critiqué pour son bilan controversé après deux ans au pouvoir, Ennahda perd 20 des sièges qu’il occupait jusqu’ici dans l’Assemblée constituante, mais reste la deuxième force politique du pays. Il a tenté tout au long de sa campagne de répondre aux critiques en mettant en avant une image consensuelle et en n’évoquant que rarement la question de l’islam. C’est le parti anti-islamiste tunisien, Nidaa Tounès qui a remporté les législatives, arrivant en tête. Il a notamment capitalisé sur le ras-le-bol des Tunisiens en promettant de rétablir «le prestige» de l’Etat.
Nidaa Tounès a remporté 85 des 217 sièges de l’Assemblée des représentants du peuple, tandis qu’Ennahda en a engrangé 69. L’Union patriotique libre (UPL), le parti du richissime homme d’affaires et président du Club africain, l’un des principaux clubs de Tunisie, Slim Riahi, arrive en troisième position avec 16 sièges. Il est suivi par le Front populaire, coalition de gauche et d’extrême gauche dont deux responsables ont été assassinés en 2013, qui remporte 15 sièges et par le parti Afek Tounès (huit sièges).
Former un gouvernement ne sera pas facile, mais la presse envisage une solution à la marocaine. Les journaux tunisiens ont évoqué une union des deux principales forces politiques dans une grande coalition. «Le meilleur parmi ces scénarios serait une coalition Nidaa Tounès-Ennahda qui garantirait un gouvernement stable durant les cinq prochaines années», a ainsi jugé La Presse, premier quotidien francophone du pays.
Le grand vainqueur n’est certes pas un jeune. A 87 ans, Béji Caïd Essebsi a été témoin du parcours intégral de la Tunisie en tant que ministre à plusieurs reprises de Bourguiba. Puis sous Ben Ali, comme président du Sénat. Enfin, Premier ministre après la révolution, de février à octobre 2011. Le voici gagnant des législatives avec son parti Nidaa Tounès, qu’il qualifie de centriste. Sous peu, l’homme repartira en campagne afin d’être élu président.
Il explique. Les gens ont voté pour le changement… Les Tunisiens en âge de voter sont 8,4 millions. Ils sont 5,3 millions à s’être inscrits sur les listes électorales. Et seulement trois millions ont voté. Ce qui est moins qu’en 2011. Presque un million de voix a disparu… Le message est clair quand les jeunes ne votent pas.
Pour saluer le printemps il faudra bien la confiance en de meilleurs jours de la jeunesse tunisienne.

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Patrice Zehr

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