Boire de l’alcool dans sa jeunesse pour s’amuser peut entraîner l’addiction. Cette dépendance ne peut s’enraciner dans la vie d’un individu sans de graves conséquences. Quand on arrive à ce stade, tout bascule: la famille, le travail, la situation financière et la santé. L’histoire de Brahim.
Chez les Occidentaux, c’est une tradition. Les boissons alcoolisées accompagnent les repas, les précèdent (apéritifs) et les suivent (digestifs). Mais tout se fait raisonnablement et ceux qui en abusent le paient cher.
Ils vont grossir les rangs des alcooliques. Quand on est alcoolique, le suivi médical et psychologique est recommandé, bien sûr. Mais il faudrait être conscient de son mal avant que ce ne soit trop tard. Sinon, les ravages de l’alcoolisme sont d’une violence terrifiante. C’est ce que raconte Brahim, un fonctionnaire en proie à une profonde détresse à cause de ce problème.
«J’ai 43 ans, je viens de divorcer et l’alcool a détruit ma vie. Je ne suis pas du tout heureux de ma nouvelle situation et de mon nouveau statut. Ma femme m’a quitté; elle ne veut plus de moi parce que j’ai un sérieux problème avec l’alcool. Il est si loin le temps où une ou deux bières me suffisaient. A l’époque, j’étais encore adolescent. Je me souviens que nous nous réunissions en catimini dans le garage d’un de mes camarades de classe pour boire quelques bières et commenter les matches de foot ou raconter nos déboires avec les filles sur lesquelles nous avions jeté notre dévolu. On rentrait chez nous un peu sonnés, mais personne ne se doutait de rien. On faisait cela pour crâner aux yeux de ceux que l’on trouvait trop nunuches. Mon addiction s’est confirmée beaucoup plus tard; bien après la période du bac et de la fac, où l’on continuait de faire de nos soirées agrémentées d’alcool un rituel. Pour cela, on faisait des tonnes de restrictions dans nos maigres budgets pour nous offrir nos boissons. Et puis, même en période de panne sèche, il y avait toujours ceux dont les parents buvaient. Grâce à eux, nous n’étions jamais à court… Ils se débrouillaient pour dérober de petites merveilles de bouteilles et cigarettes. Notre QG, c’était la piaule d’un gars du sud. Chez lui, il y avait à manger. Ses parents, transporteurs très fiers de leur fils bachelier en route pour des études supérieures, lui envoyaient un jour sur deux des tonnes de petits-plats cuisinés. Nous passions aussi nos week-ends à picoler et à nous goinfrer. Moi, j’habitais encore chez mes parents et mes ressources étaient misérables. Je buvais sur le compte de tous ces bons amis. Seule ma présence était obligatoire. J’étais le clown de service. Nous passions de fabuleuses soirées à refaire le monde et à rigoler. Plus tard, quand je suis allé à l’étranger pour la maîtrise et le doctorat, j’ai eu de nouveaux amis étrangers avec lesquels je passais pas mal de temps à sortir et à boire. Je devenais sournoisement chaque jour un peu plus accro à l’alcool. Mes diplômes en poche, je suis rentré au pays et, peu de temps après, dans le monde du travail. Je me félicitais d’une seule chose: grâce à mon salaire, j’avais enfin la plus belle des opportunités, celle de pouvoir m’offrir des hectolitres de boissons alcoolisées ad vitam aeternam. Quel soulagement! La bouteille qui était déjà ma petite amie, j’avais maintenant les moyens d’en faire ma fidèle compagne. D’ailleurs, elle ne me quittait plus jamais. La routine et certains collègues m’ont fait aimer le comptoir des bars d’où je ne me tirais que complétement saoul. J’étais connu partout où j’allais. J’étais l’homme qui levait la bouteille et qui la ramenait à lui en l’embrassant et en lui disant: «Je t’aime chérie». La vue de l’eau ou du lait me donnaient des frissons. Je ne sais pas si c’est la vie de célibataire ou les rumeurs qui ont fait réagir mes parents, mais j’ai subi une infernale pression de ces derniers pour me marier. Enfin, à 40 ans, je rencontrai ma femme. Au début de notre relation, j’évitais de la rencontrer pendant la semaine, après 19 heures, et les samedis ou dimanches, je ne la voyais que le matin. Parfois, je ne donnais pas signe de vie pendant une semaine. Pourtant, cette fille, je l’aimais bien et je la trouvais jolie, jeune, intelligente, bien éduquée. Elle était parfaite. Mon problème était que j’étais dérangé dans mes petites habitudes et puis, surtout, il fallait que je sois sobre pour nos rencontres. Elle ne comprenait pas ce qui m’arrivait et me parla de mettre fin à cette pseudo relation. C’est là que j’ai réalisé qu’elle comptait pour moi. Je l’ai rattrapée et lui ai demandé de devenir mon épouse. Elle accepta, mais de peur de la voir partir, je lui cachais mon addiction. Le jour de mon mariage, j’ai été démasqué. Toute la famille -et elle aussi- a su que j’avais un grand problème avec l’alcool. La tension de ce jour m’a fait boire tout au long de la journée, jusqu’au soir. J’étais ivre et on le voyait rien qu’à ma démarche chancelante et aux effluves que je dégageais. Heureusement, tout le monde m’a pardonné en mettant ça sur le compte de l’émotion et de la peur causée par l’enterrement de ma vie de célibataire endurci. Mon épouse, elle, n’a pas du tout apprécié et m’a fait une scène. J’ai dû inventer, pour me faire pardonner, une histoire rocambolesque qui finalement m’avait bien sauvée. Je lui ai dit que c’était parce que j’étais possédé par un démon qui ne me laissait pas me marier et que je devais être complétement saoul pour échapper à son contrôle. Elle me prit en pitié et se réconcilia avec moi. Au début de notre mariage, j’essayais d’être sobre. Mais quelques mois plus tard, je reprenais mes vieilles habitudes. Du boulot directement, j’allais au bar. J’en revenais tout le temps saoul, tantôt sans clés, tantôt sans portefeuille. En plus, ma voiture était tout le temps cabossée. Je dépensais beaucoup d’argent. D’ailleurs, il a fallu que mon épouse, alors qu’elle était enceinte de notre premier enfant, fasse ses valises et s’en aille chez ses parents pour me décider à prendre un crédit pour acheter notre logement. Je n’étais même pas présent quand ma femme a eu ses douleurs et qu’elle allait accoucher. Ce sont les voisins et ses parents qui l’ont aidée. Moi, j’étais au bar et quand je suis rentré, je n’ai même pas cherché à savoir si elle allait bien. J’ai été réveillé par un coup de fil de mes parents qui hurlaient et m’insultaient de tous les noms. C’est comme ça que j’ai appris que j’avais eu un garçon. Quand j’ai vu notre bébé, j’ai juré que je ne mettrais plus jamais le pied dans un bar. Mais les «saoulards» de mon espèce ne peuvent tenir de telles promesses. Le signal du petit coup se faisait pressant. J’avais des hallucinations, des sueurs froides, il me fallait ma dose. Et je reprenais de plus belle ma passionnelle occupation nocturne. Ce qui était devenu grave, c’est qu’il fallait maintenant que je m’envoie quelques verres le matin avant d’aller travailler, et que je continue à midi et finisse en beauté le soir. Je n’avais plus de contrôle sur ma personne. En quelques jours, je dilapidais tout mon salaire. Je ne prenais plus du tout en charge mon foyer. Ma femme, contre son gré, en assurait la relève. Et quand je n’avais plus d’argent, il m’arrivait fatalement de lui en demander sous la menace. Je l’ai quelquefois battue, la laissant ainsi, elle et mon fils, démunis et en pleurs. Ce tableau et cette situation me fendaient le cœur et, en pleurant, je me mettais à boire de plus belle. J’allais mendier aussi des prêts à toute personne que je connaissais. Je n’avais plus aucune considération ni dans mon travail, ni dans mon voisinage, ni dans la famille. J’étais un minable «skayri» criblé de dettes. Un soir, je regagnais la maison avec pour intention de faire une scène à mon épouse pour qu’elle me dépanne. Elle et mon fils n’étaient plus là. Dans une rage folle, je me suis mis à tout casser. Le pire, c’était que je savais qu’elle me quitterait. Quelques jours plus tard, je recevais la visite d’un huissier de justice pour me remettre une convocation au tribunal. Ne plus voir mon fils à cause de l’alcool est la chose la plus abominable qui puisse m’arriver! Je veux aller en cure de désintoxication, mais ma vie est détruite, rien ne sera comme avant, je le sais».
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