Voilà les dessous de cette campagne…

Mustapha Rahine, membre du Conseil de la ville de Casablanca (SAP)

Mustapha Rahine

Au moins 60% des cafés occupant le domaine public de la ville de Casablanca ne payent pas la taxe relative à cette occupation du domaine public, selon Mustapha Rahine, élu de la ville.

Une série d’opérations de démolition est actuellement lancée dans certaines zones de la métropole pour récupérer le domaine public occupé illégalement. Qu’en pensez-vous?

Avant de parler de toutes ces opérations, il est nécessaire de poser une question: comment se fait-il que des quartiers entiers se construisent de manière clandestine? Que ce soit à Sidi Moumen, à Ben M’sik, Moulay Rachid, Lahraouiyine, Dar Bouazza, Douar Tqualiya ou dans un autre quartier, on trouve des constructions illégales qui se réalisent en plein jour. Que les autorités mènent aujourd’hui des opérations pour libérer l’espace public, c’est une bonne initiative. Mais tout ce qui a été construit dans cet espace public l’a été sous l’œil indolent des autorités et des élus

. Qui a permis à ces gens d’occuper le domaine public en construisant des terrasses et autre? La réponse est que les autorités et les élus étaient au courant de tout ce qui se réalisait dans ces quartiers. Pour être plus clair, ce sont des agents d’autorités et des élus corrompus qui ont permis que des constructions soient réalisées sur le domaine public, ce qui fait qu’ils sont responsables de toute cette occupation de l’espace public.

D’après vous, pourquoi cette décision de mener aujourd’hui cette campagne pour libérer le domaine public de la ville? Quel est le contexte de ces opérations?

En fait, ces opérations sont venues accidentellement. A leur origine, il y a une affaire personnelle entre un propriétaire de café situé au boulevard Zerktouni et le maire de Casablanca. L’histoire remonte à quelques jours après la visite du président français, François Hollande, à Casablanca. Le maire a aimé les aménagements qui ont été faits au niveau du rond-point se trouvant près de l’immeuble dit «17ème étage». On a donc voulu faire les mêmes aménagements au niveau du rond-point d’Europe, à proximité d’un parking sur le boulevard Zerktouni.
Dans ce parking, les clients d’un café se trouvant en face de ce rond-point parquent habituellement leurs voitures. Une fois les travaux lancés, Sajid a voulu s’enquérir lui-même de leur avancement. Sur place, le gérant du café s’est présenté au maire, cherchant à connaître les raisons des travaux en cours. Le président du Conseil de la ville lui a demandé d’attendre quelques minutes. Mais l’attente a duré plus d’une demi-heure, ce qui a attisé la colère du propriétaire du café. La tension est donc montée de plusieurs crans et le gérant a commencé à hausser le ton en reprochant à Sajid de ne pas lui avoir accordé l’attention qu’un maire devrait normalement accorder à un citoyen. En colère, Sajid est monté dans sa voiture et s’est dirigé vers son bureau. Là, il a donné ses instructions au responsable chargé du domaine public pour vérifier si le café en question était en règle et s’il avait une autorisation d’occupation du domaine public. Il s’est avéré que le propriétaire avait son autorisation mais qu’il ne payait pas la taxe relative à l’occupation de l’espace public. Il devait à la ville quelque 62 millions de centimes. Le maire a alors ordonné que le café soit fermé. Après cet incident, des rumeurs commençaient à circuler, concernant le début d’une grande opération qui allait être lancée par la Ville de Casablanca pour la récupération de son domaine public. Le président du Conseil de la ville, qui a été interpellé sur cette question, s’est vu obligé de déclarer que l’on devrait effectivement organiser une campagne dans ce sens. Au Conseil de la ville, qui connaît une crise financière, on a commencé à faire un recensement de tous les cafés qui ne payaient pas la taxe relative à l’occupation du domaine public. Aujourd’hui, il y a des milliers de cafés qui ne payent pas cette taxe. Si on arrive à faire aboutir une telle opération, cela pourra aider à renflouer les caisses du Conseil. Voilà donc l’histoire de ces opérations de récupération de l’espace public. A l’origine, c’était une affaire personnelle entre un propriétaire de café et Sajid, mais qui a dégénéré!

Les opérations qui sont menées actuellement concernent la Préfecture des arrondissements de Sidi Bernoussi. Comment expliquez-vous que la campagne soit d’abord lancée seulement dans cette préfecture?

Si le maire avait réellement pris la décision de lutter contre l’occupation du domaine public, on aurait constaté la même campagne dans tous les arrondissements de Casablanca. Les opérations de démolition concernent uniquement les quartiers d’Anassi, de Sidi Moumen, d’Al Azhar et d’Attacharouk, lesquels relèvent de la Préfecture des arrondissements de Sidi Bernoussi. Or, une opération de ce genre devrait porter sur l’ensemble des quartiers du Grand Casablanca. Pourquoi n’a-t-on pas entendu parler d’une autre opération similaire dans d’autres quartiers relevant des autres préfectures? Que ce soit à Moulay Rachid, Ben Msik, Mers-Sultan, Al fida, Hay Hassani et Aïn Choc, ou à Anfa, Maârif, Sidi Belyout, Roches Noires et Hay Mohammadi, il n’y a pas pour le moment de campagne pour libérer l’espace public. Pourtant, dans ces arrondissements, le phénomène prend des tournures préoccupantes. Il y a 16 arrondissements à Casablanca, mais seul un arrondissement, celui de Sidi Moumen, est actuellement concerné par cette campagne, sachant que, lorsqu’on parle de cet arrondissement, on parle de son président Ahmed Brija. On sait aussi que ce dernier est le vice-président du maire, c’est-à-dire le bras droit de Sajid. D’où l’explication du lancement de la campagne dans l’arrondissement de Sidi Moumen. Par cette grande opération dans son arrondissement, le président Brija veut montrer son soutien à Sajid qui, seul, trouverait certainement des difficultés à mettre à exécution sa décision.

Quelles que soient les raisons de cette nouvelle campagne, une telle initiative pourrait-elle porter ses fruits?

Cette initiative devait être prise depuis longtemps. Les gens, qui ne payaient pas la taxe relative à l’occupation du domaine public, devaient normalement payer ce qu’ils doivent à la ville. Ceux qui n’ont pas encore d’autorisation pour exploiter l’espace public doivent en faire la demande à la commune. Sinon on devra démolir ce qu’ils ont construit de manière illégale sur le domaine public. Mais ce qui se passe à Casablanca, c’est que des élus corrompus «dayrine rwina» (sèment la pagaille) en ce moment. En effet, depuis quelques jours, ces élus vont chez les propriétaires de ces cafés, plus particulièrement chez ceux qui n’ont pas d’autorisation, et leur proposent des solutions pour sortir de l’impasse. Ils proposent à ceux-là d’intervenir en leur faveur pour l’obtention d’une autorisation moyennant un «pourboire». Par contre, ceux qui n’acceptent pas de donner cette corruption, ils sont immédiatement mis sur la liste noire. C’est ce qui se passe actuellement à Sidi Moumen où on a procédé à la démolition de terrasses de certains cafés, alors qu’on a ignoré d’autres. Donc, l’explication de tout cela, c’est que ceux dont la terrasse de leur café n’a pas été démolie par les autorités ont pu renouveler leur autorisation, aidés en cela par certains élus et fonctionnaires de la commune corrompus.

Y a-t-il un chiffre qui montre l’ampleur du phénomène?

Il y a au moins 60% des cafés, parmi ceux qui occupent le domaine public, qui ne payent pas la taxe relative à l’occupation du domaine public. A noter que les autorisations qui sont délivrées à ces propriétaires de café sont octroyées pour trois ans et renouvelables. Mais en général, la plupart des propriétaires de café ne renouvellent pas leur autorisation. Ce qui est grave, c’est que ce sont des élus qui expliquent à ces personnes ce qu’elles doivent faire pour détourner la loi. Ils leur conseillent de ne pas renouveler cette autorisation, l’objectif étant de ne plus payer à la commune cette taxe. Car, sur le plan légal, tant que ces personnes ne renouvellent pas l’autorisation pour occuper l’espace public, pour la commune, elles n’ont pas à payer cette taxe. Ce n’est que lorsqu’elles vont renouveler cette autorisation qu’elles doivent commencer à payer à la commune. Mais ces commerçants ignorent qu’ils restent toujours redevables à la commune. Même après 80 ans, si la commune veut entamer la procédure judiciaire contre eux, elle peut toujours le faire et à n’importe quel moment!

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