Maroc-M’diq | Quand les changements climatiques chassent la sardine

Maroc M’diq Quand Les Changements Climatiques Chassent La Sardine

Les quantités des ­poissons pélagiques pêchés sur les côtes de M’diq ont drastiquement baissé. A cause de la surpêche, de la pollution et des changements climatiques, la sardine, qui intéresse le plus les habitants de cette ville du nord du Maroc, peine à se renouveler. Plusieurs bateaux ont dû prendre le large pour aller la chercher ailleurs.

Reportage.

Dimanche 27 septembre, il est moins de 7 heures du matin, le quai semble vide. Les sardiniers arrivent au compte-gouttes. Le nombre de bateaux ayant débarqué leur poisson n’a pas dépassé trois sardiniers. La raison ? Plusieurs bateaux ont quitté M’diq pour Jebha, un port voisin, pour traquer les sardines et les anchois, très appréciés des locaux. Et on ne peut pas dire que la liste des départs soit bouclée.

Ce dimanche matin, cinq nouveaux bateaux viennent de prendre la mer, comme douze autres l’avaient fait il y a quelques jours. Ils se sont  invités dans les eaux de Jebha à la recherche de poissons pélagiques. De quoi inquiéter la filière de pêche pélagique dans la zone de M’diq, qui fait vivre plus de 600 marins-pêcheurs.

La traque à la sardine

Abdelghani Bofrah patron de pêche

«On vit du poisson. Les prises de poisson chutent à M’diq. Il a donc fallu chercher un autre port pour pêcher la sardine qui commence à se faire rare dans les pêcheries de M’diq. A jebha, en ce moment, il y a encore du poisson. On y a même  pêché l’anchois qu’on trouve de moins en moins dans les pêcheries de M’diq», explique Abdelghani Bofrah, patron de pêche et propriétaire d’un senneur.

Celui-ci a du mal à y croire. Ce n’est pas pour lui qu’il se fait du souci, mais pour les jeunes qui prendront la relève. «Mes plus belles années sont dernière moi. Mais je suis né pêcheur et je ne saurais pas faire un autre métier», souligne l’homme qui a trente ans d’expérience. Il y a encore quelques années, les prises étaient très importantes, dit-il.

Dans leurs filets, les pêcheurs de M’diq ont remonté moins de sardines par rapport aux années précédentes, déplore-t-il. Mais il n’impute pas cette chute au phénomène des changements climatiques, même s’il reconnait un changement du climat.

Selon lui, cette situation, qu’il qualifie de «catastrophique», s’est accentuée avec l’afflux d’une grande population de dauphins noirs. Selon lui, certains armateurs, en désespoir de cause, se sont reconvertis dans d’autres types de pêche. «La pêche pélagique a beaucoup souffert. Certains ont même été contraints de vendre leurs bateaux», affirme-t-il.

Si cet inconditionnel de la mer se fait un sang d’encre, c’est pour le sort de marins comme Mustapha Achabak, pêcheur depuis 1998, qui a encore devant lui plusieurs années avant la retraite.

«Kanto», «Al Wasta» et «Lagroura», des pêcheries asséchées !

Mustapha Achabak patron de pêche

«De mémoire de pêcheur, on n’avait jamais vécu une telle situation. Il n’y a presque pas de poisson», s’inquiète de son côté Mustapha Achabak, patron de pêche depuis 2004. «On doit pêcher du poisson si on veut gagner notre vie, donc on est obligé de sortir en mer. Mais, les temps ont changé», lance Mustpha Achabak, qui raconte ses peurs. «Certaines espèces ont disparu comme la Corbine. D’autres se font rares comme l’anchois, et d’autres sont menacées», confirme-t-il.

Quand j’ai commencé, le poisson était très abondant dans les pêcheries de la zone. Sardines et anchois, rouget, sole et merlan étaient plus nombreux dans les zones de pêche de «Kanto», d’«Al wasta» et de «Lagroura», autrefois très riche en poisson pélagique. Mais maintenant, ces pêcheries sont asséchées. Il n’y a plus de poisson», rappelle Mustapha Achabak, avec amertume.

Les professionnels de la pêche ont pris moins de soles, merlus, rougets, crevettes que les années précédentes. Selon lui, la faute aux changements climatiques… mais aussi aux chalutiers ! «Cette baisse n’est pas normale. Ça peut avoir un lien avec les changements climatiques. Mais il y a aussi le problème des chalutiers qui ont ravagé la mer. Il n’y a pas une période de repos biologique pour la sole, le merlu ou le rouget, comme c’est le cas pour le poulpe. Il faudrait instaurer un arrêt d’activité pour que la ressource se renouvelle», déplore-t-il.

Il pointe aussi l’utilisation de certains filets de pêche, qui seraient également à l’origine de cette baisse des ressources. «On assiste à la destruction de nos ressources. Ces chalutiers ne respectent pas les normes légales. Ils pêchent dans des zones interdites, à moins de 1,5 miles, et pêchent donc le juvénile. Ça va mettre à mal la ressource, on imagine déjà les dégâts…». Autre agression pour les ressources, poursuit-il, la pollution de l’eau, principalement due aux pesticides utilisés dans l’agriculture, qui rejoignent les eaux douces lorsque la pluie lessive les sols.

Pêche | Hausse de la valeur des produits commercialisés de 35% au S1-2021

L’INRH interpellé sur la question…

L’INRH interpellé sur la question

En 2019, vingt-deux bateaux pratiquaient la pêche pélagique au port de M’diq. Aujourd’hui, il compte 18 bateaux pélagiques, alors qu’il en comptait une quarantaine, en 2002.  Deux bateaux ont été vendus, il y a quelques mois et d’autres pourraient être bientôt cédés à des armateurs à Agadir, confie-t-on. Une situation qui met aussi en difficulté la criée de la ville.

Ce déclin du port de pêche de M’diq est en grande partie lié à la diminution drastique des ressources.

A la Délégation régionale de la Pêche maritime, on reconnait aussi cette chute des ressources. Depuis 2010, les prises à M’diq ont diminué de 35%, indique-t-on dans cette Délégation. De leur côté, les pêcheurs évaluent la baisse des prises à plus de 50% pour le poisson pélagique et à 40% pour le poisson de fond.

La commercialisation des produits de mer à quai, comme celle qui existe au port de M’diq, ou encore dans d’autres ports de la côte nord du pays va-t-elle disparaitre ? C’est en tout cas ce que redoutent les pêcheurs qui pourraient voir leurs habitudes bousculées, à cause des changements climatiques.  Certains se préoccupent des effets d’une chute drastique des réserves de poissons qui pourraient les contraindre à changer de métier. 

Plusieurs associations ont d’ailleurs déjà interpellé les responsables du secteur –à travers plusieurs courriers- pour attirer leur attention sur le problème. L’Association nationale des marins-pêcheurs au Maroc, pour ne citer qu’elle, a établi un rapport sur la problématique de la baisse de la ressources dans la zone de la Méditerranée. «Nous avons aussi adressé une lettre à l’Institut national de la recherche halieutique (INRH) pour savoir les raisons scientifiques de cette chute des réserves. Mais, à ce jour, on n’a pas encore réagi à notre courrier», déclare Aziz Belhaj, vice-président de l’Association  nationale des marins-pêcheurs au Maroc.

Ce dernier, également chef mécanicien sur le sardinier «Al Hilal», se dit très inquiet de la baisse du poisson pélagique dans les zones de pêche de M’diq. Et il n’est pas le seul. Le sujet est en tout cas au centre de toutes les discussions. Pêcheurs et armateurs se disent préoccupés. La question a d’ailleurs été inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale de la Chambre de pêches maritimes de la Méditerranée, laquelle s’est tenue vendredi 25 septembre, à Tanger.

Le témoignage des pêcheurs

Le témoignage des pêcheurs

Qu’est-ce qui a conduit à cette situation ? Globalement, pour les pêcheurs, c’est la faute à la surpêche, à certaines techniques de pêche interdites, à la pollution et aux changements climatiques. «Il y a moitié moins de pélagique qu’il y a quatre années», selon le triste constat de nos pêcheurs approchés ce dimanche 27 septembre. Leurs témoignages confirment que les espèces de sardines et anchois sont toutes en déclin.

Pour les pêcheurs les plus sensibles à la question, même si leur perception de la notion des changements climatiques est très subjective, ils déclarent avoir bel et bien observé certains changements climatiques et leurs conséquences sur le métier.

Les dérèglements du climat ont modifié le milieu marin et pourraient avoir un impact sur les ressources, souligne le vice président de l’Association nationale des marins-pêcheurs au Maroc, Aziz Belhaj. Dérèglement des saisons chez les poissons, diminution du poids moyen du poisson, les pêcheurs ont constaté certains changements, assure-t-il.

Depuis cinq ou six ans, dit-il, on a observé un changement dans l’écosystème. «Les saisons du poisson ont tendance à se décaler. C’est le cas, par exemple, pour le poulpe. L’anchois a pratiquement disparu dans les eaux de M’diq. Et puis, il y a le problème du dauphin noir et du thon rouge qui envahissent la zone. Cela pourrait avoir un lien avec les changements climatiques. En tout cas, cette baisse des poissons pélagiques n’est pas normale», précise notre interlocuteur. «On demande l’intervention urgente de l’Etat. Car si rien n’est fait, dans quelques années, il n’y aura plus de poisson. Résultat: des bateaux quitteront la région pour aller vers d’autres rivages, en quête de sardines», peste Aziz Belhaj.

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«Avec cette chute du pélagique, tous les bateaux de M’diq et des autres ports de la zone méditerranéenne, comme ceux de Nador ou d’El Hoceima, vont se retrouver dans les eaux de Jebha. Mais avec plusieurs navires, vous imaginez ! Ce samedi 26 septembre, par exemple, 14 sardiniers et 10 chalutiers se sont déjà invités au port de Jebha pour pratiquer la pêche», lance-t-il.  Il craint que cette situation n’oblige de nouveaux bateaux à se déplacer vers les eaux de Jebha, situé à 130 km de M’diq.

Ce dimanche 27 septembre, trois bateaux ancrés au port de M’diq, «Lemrabet», «Rass alminaa», «Arafa» pratiquent encore la pêche pélagique et leur propriétaire, Karim Lamrabet, pense comme les autres à partir. «La situation est catastrophique. Les prises ont fortement baissé, c’est ce qui explique que certains professionnels ont fait faillite et d’autres ont vendu leurs bateaux», déclare à Le Reporter karim Lamrabet, armateur et Président de l’Union des coopératives des opérateurs de la pêche artisanale dans la région du nord. Ce professionnel, qui dénonce aussi les attaques du dauphin noir, a observé certains changements qu’il impute au dérèglement du climat. «Les épisodes de mauvais temps sont plus violents. La récurrence des vagues de plus de deux mètres a augmenté.  Les gens sortent maintenant pécher moins de jours que lors des années précédentes. Ça a accentué l’appauvrissement des pêcheurs qui ne peuvent plus travailler aussi longtemps que ce qu’ils faisaient auparavant», déplore le président de l’Union.

Les changements climatiques, une menace aux impacts sous-estimés

Quelle explication scientifique ? Selon Mohamed Naji, Professeur en Economie des pêches à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, la pollution et la surpêche rend l’activité de la pêche plus fragile face au phénomène des changements climatiques.

La surexploitation représente une inquiétude majeure quant à son effet sur certains poissons. Mais les changements climatiques constituent aussi une menace aux impacts sous estimés, affirme Mohamed Naji expert en gestion de pêcheries.

D’après lui, le phénomène pourrait engendrer une diminution des ressources halieutiques, voire même la disparition de certaines espèces marines. «Les changements climatiques peuvent avoir un impact direct sur le poisson: hausse de température des eaux, augmentation de salinité de la mer, perturbation de la circulation des masses d’eau océanique, etc. Ces impacts, qui sont d’ordre physique, peuvent engendrer des impacts indirects (biologiques et écologiques)», explique le scientifique.

Ainsi, quand ces conditions physiques sont perturbées, poursuit-il, l’abondance de l’espèce est modifiée. «Et quand l’occupation de l’espace change, le poisson est obligé de migrer pour retrouver d’autres zones plus propices. Sachant que le changement des structures des communautés marines peut aussi avoir un changement sur les proportions des différentes espèces», précise cet expert.

Plus préoccupant, dans la zone nord du Maroc, les espèces qui ont montré elles, un déclin de productivité de plus de 50 %, ce sont les poissons pélagiques. «La sardine c’est le plus grand exemple que l’on peut  donner. Ce poisson de surface était nombreux dans le nord du Maroc. Mais au fil des années, il y a eu un déplacement progressif de stocks de la sardine vers le sud. C’est ce qui fait que maintenant, on a une Méditerranée très pauvre en sardine», ajoute-t-il.

Selon ce dernier, de nombreuses espèces ont tiré bénéfice du réchauffement. «Dans les eaux marocaines, on a constaté l’intrusion de certaines espèces qui n’existaient pas, comme la sardinelle, un poisson  à affinité tropicale et qui commence à envahir les côtes sud du pays», relève Mohamed Naji.

Ces constats appellent à réagir, d’après notre interlocuteur, pour prendre en compte les changements climatiques dans les décisions des responsables de la pêche au Maroc.

Reportage à M’diq : Naîma Cherii

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